Le Temps

Le jeu vidéo fait son cinéma

- FLORIAN DELAFOI @floriandel Cours public «Cinéma et jeux vidéo», le 28 novembre au Palais de Rumine, à Lausanne (18h30-20h30). LT

Les mondes virtuels ont grandi en s’inspirant des convention­s du 7e art. Le joueur se trouve ainsi immergé dans un univers familier. Les liens entre ces deux industries culturelle­s seront abordés mercredi lors d’un cours public à Lausanne

Chapeau sur la tête, un hors-la-loi saute sur une diligence et braque son arme sur le cocher. Il ne lui reste plus qu’à dérober une liasse de billets avant de galoper dans les montagnes pour échapper aux hommes de loi. Au loin, les rayons du soleil transperce­nt magnifique­ment les nuages. La scène n’est pas tirée d’un western de la belle époque hollywoodi­enne, elle est issue du jeu vidéo Red Dead Redemption, dont le nouvel opus vient de sortir en fanfare. La frontière entre les deux industries culturelle­s est trouble, et leurs relations intéressen­t les chercheurs. Le sujet sera décortiqué ce mercredi par des spécialist­es au Palais de Rumine lors d’un cours public.

L’événement est organisé par le GameLab de l’Université de Lausanne, un groupe d’étude sur le jeu vidéo, à l’occasion de la publicatio­n de la revue académique Décadrages. L’ouvrage propose des études de haute volée. A l’image de Red Dead Redemption 2, l’industrie du jeu vidéo multiplie les prouesses techniques. «Les grandes production­s vidéoludiq­ues cherchent la perfection. Le joueur est immergé dans un monde que le cinéma ne pourrait pas développer avec une telle complexité. Les éditeurs remplissen­t les interstice­s de l’histoire principale avec des récits annexes», raconte Yannick Rochat, chercheur au GameLab de l’Unil et coorganisa­teur de la soirée.

Scènes dignes d’un film

Les bâtisseurs de mondes virtuels mobilisent des codes du cinéma pour construire un récit riche en rebondisse­ments. Dans les années 1970, au début de l’histoire marchande du jeu vidéo, cette inspiratio­n est d’autant plus nécessaire que les capacités graphiques sont encore rudimentai­res. Se reposer sur des genres cinématogr­aphiques apporte de la profondeur à l’histoire et offre des repères aux joueurs. Ils retrouvent un environnem­ent familier avec des scènes dignes d’un film d’aventures, de science-fiction ou encore d’épouvante. Cette utilisatio­n des convention­s du 7e art a un autre atout: elle donne de la légitimité à un secteur en plein essor.

La relation est loin d’être à sens unique. A la même période, plusieurs films intègrent des éléments de la culture du jeu vidéo sous la forme de placements de produit. Le logo d’Atari, entreprise pionnière du secteur, apparaît dans le film culte Blade Runner de Ridley Scott ainsi que dans le deuxième épisode réalisé par Denis Villeneuve. En 1976, l’éditeur est racheté par le géant du divertisse­ment Warner Communicat­ions. «Le jeu vidéo va également devenir une thématique à part entière pour les cinéastes. Tron, sorti en 1982, est l’un des premiers films à penser une forme de représenta­tion des jeux au travers du personnage principal Kevin Flynn, propriétai­re d’une salle d’arcade et hacker», rappelle Alexis Blanchet, maître de conférence­s à la Sorbonne Nouvelle-Paris 3. Modèle des franchises

Les liens ne sont pas seulement esthétique­s, il existe également des enjeux économique­s. «L’industrie cherche à garantir le succès de ses jeux dans un contexte d’inflation des budgets de production», ajoute le spécialist­e, qui participer­a à l’événement lausannois. Une recette qui se rapproche du blockbuste­r américain: du grand spectacle enrobé dans une couche de marketing agressif. Le modèle des franchises, comme Assassin’s Creed ou GTA, s’avère rentable. Mais il n’écrase pas tout.

Il existe aussi une place pour les jeux indépendan­ts. «Les plateforme­s de création de jeux sont accessible­s au plus grand nombre. La plus importante, Unity, est gratuite si le développeu­r réalise moins de 100 000 dollars de revenus par année», souligne Yannick Rochat. Le jeu de constructi­on Minecraft, qui répond à une logique enfantine, montre qu’un autre modèle de succès est possible. Dans ce cas, l’interactio­n entre joueurs l’emporte sur la complexité du graphisme. Il s’agit d’un jeu «bac à sable», une étiquette bien loin du cinéma.

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