Les nouvelles stratégies de lutte contre les «fake news»
Des projets utilisant le «machine learning» s’attachent non au contenu des fausses nouvelles mais à leurs structures de diffusion sur le Net pour les combattre
t«Il faudrait pouvoir étiqueter les nouvelles comme on étiquette les aliments. Pouvoir dire «Attention, risque de fausse information, traces de manipulation» comme on dit «Attention, risque d’allergie, traces de cacahuètes». Sinan Aral était à Genève ces derniers jours, orateur invité à la conférence TEDxCERN (organisée en partenariat avec Le Temps) pour présenter ses découvertes sur les fake news qui ont fait la une de la revue Science en mars. Avec deux autres chercheurs du Media Lab du Massachusetts Institute of Technology (MIT), il y montrait qu’une fausse nouvelle met six fois moins de temps qu’une vraie pour atteindre 1500 personnes sur Twitter et qu’elle est 70% plus susceptible d’être partagée.
Plus vite, plus loin, touchant plus de monde: on ne pourra jamais empêcher la création de fausses nouvelles ou de rumeurs, un tweet rageur ou une photo retouchée étant si faciles à produire et les intérêts si grands. En revanche, il doit être possible de réduire leur contagion, leur potentiel de nuisance. Le prochain livre de Sinan Aral s’intitulera The Hype Machine, The Madness of Crowds in the New Social Age («La machine à pub, la folie des foules dans la nouvelle ère sociale»).
Rencontré quelques heures avant d’ouvrir la conférence, le chercheur note cinq pistes de lutte contre les fake news, «qui ont chacune ses limites». Des étiquettes donc, pour identifier les sites tendancieux ou sincères. «Mais qui décidera des étiquettes?» Facebook a d’ailleurs commencé à qualifier ses sources en se fondant sur Wikipédia (le petit «i» qui apparaît sous une publication), et il n’est que de consulter les étiquettes du Matin ou du Temps pour comprendre que la partie n’est pas gagnée.
Deuxième piste, réduire l’incitation économique qui a poussé par exemple de jeunes Macédoniens à inonder le web de publications spectaculaires pendant la campagne présidentielle américaine, des posts qui ont attiré beaucoup de publicité et leur ont donc rapporté beaucoup d’argent – mais cela irait contre le modèle d’affaires des réseaux sociaux: pas réaliste.
Troisième piste, la régulation. Aux Etats-Unis, toute publicité politique doit être clairement identifiée, et l’ingérence de pays étrangers est interdite. «Mais davantage de régulation peut devenir dangereux aux mains de pouvoirs autoritaires. En Malaisie la diffusion de fake news est désormais punie de 6 ans de prison!»
La quatrième piste est celle de la transparence. «Facebook et Twitter doivent être plus ouverts et montrer leurs algorithmes, leurs données. Mais c’est contradictoire avec notre volonté de protéger nos données, qui doivent être en sécurité, inaccessibles…» Geometric deep learning
Dernière piste, la plus prometteuse: un mélange d’intelligence artificielle et d’intelligence humaine, pour identifier les schémas de diffusion de fake news. C’est ce que Sinan Aral a utilisé pour son article dans Science, étudiant la structure des cascades de tweets, ce qui peut permettre par la suite de ralentir la viralité d’un contenu problématique en le masquant, en l’isolant sur le web.
C’est aussi ce que développe dans sa start-up Fabula le professeur à l’Université du Tessin et à l’Imperial College de Londres Michael Bronstein, qui vient d’être primé à Lausanne par la Fondation Dalle Molle pour ses travaux sur la détection des fake news dans les réseaux sociaux grâce au geometric deep learning.
Il s’intéresse non au contenu mais à la façon dont il se propage, les fake news se diffusant différemment des vraies nouvelles, comme l’a montré l’étude du MIT. Le désormais professeur à l’Imperial College de Londres utilise les modèles de réseau neuronal pour identifier les caractéristiques les plus significatives des cascades de fake news. «J’ai été surpris de la polarisation. Fondamentalement, sur Twitter, les gens qui partagent surtout des fake news et ceux qui partagent de vraies nouvelles sont deux communautés qui ne se parlent quasiment pas. On savait que Twitter était politiquement polarisé, mais c’est la première fois qu’on le voit dans le contexte des fake news.»
La lutte contre les fake news est capitale. Le projet de Michael Bronstein a reçu d’importantes bourses de la Commission européenne… et de Google et Facebook.
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Une fausse nouvelle met six fois moins de temps qu’une vraie pour atteindre 1500 personnes sur Twitter