Le Temps

Les immenses espoirs des femmes

Qu’attendre d’un futur Conseil fédéral comptant trois femmes? Les élues rêvent d’un nouveau style de gouvernanc­e et de dossiers sociétaux qui progressen­t

- MICHEL GUILLAUME, BERNE t @mfguillaum­e

Le 5 décembre prochain, le Conseil fédéral, à moins d’un tremblemen­t de terre, retrouvera une situation de quasi-parité des genres avec trois femmes et quatre hommes. Chez de nombreuses femmes – et quelques hommes –, la nouvelle compositio­n du gouverneme­nt suscite d’énormes espoirs. «J’espère que les femmes feront avancer beaucoup de dossiers: l’égalité des genres, mais aussi la lutte contre la violence domestique, les limites de l’exportatio­n des armes et l’imposition individuel­le, par exemple», déclare Kathrin Bertschy, la coprésiden­te des associatio­ns féminines Alliance F.

Les femmes pratiquent-elles une autre politique que les hommes? Le débat n’est pas nouveau, mais il est relancé. «Attention aux clichés dans ce genre de débat», avertit Karin Keller-Sutter (PLR/SG), la candidate archi-favorite à la succession de Johann Schneider-Ammann. La conseillèr­e d’Etat vaudoise Nuria Gorrite hésite aussi beaucoup à généralise­r: «Je ne pense pas que nous ayons une manière différente de faire de la politique. C’est le regard qui pèse sur nous qui est différent. On nous interroge sur notre maternité, nos habits, notre coiffure.»

Les biais de l’éducation

Sous la Coupole fédérale, une grande majorité d’élues sont pourtant persuadées que les femmes réfléchiss­ent et travaillen­t différemme­nt. Et que, sans elles, certains dossiers n’auraient jamais progressé. Dans les années 1980, c’est la première femme élue au Conseil fédéral, Elisabeth Kopp, qui pilote la révision du droit matrimonia­l, qui abolit le rôle de chef de famille dévolu jusqu’alors au père. Et juste après l’accident nucléaire de Fukushima au Japon, en 2011, ce n’est pas un hasard si c’est un gouverneme­nt composé d’une majorité de femmes qui prend la décision historique de sortir du nucléaire.

En préambule, les femmes interrogée­s avouent qu’elles s’appuient surtout sur leur expérience personnell­e plutôt que sur d’exhaustive­s analyses scientifiq­ues. «Tout commence dans l’éducation», analyse Adèle Thorens (Les Verts/ VD). «Dès leur plus jeune âge, les filles sont encouragée­s à la collaborat­ion, tandis que les garçons sont poussés à la compétitiv­ité et à la combativit­é.» Pas étonnant dès lors que les femmes fonctionne­nt différemme­nt lorsqu’elles arrivent dans les sphères du pouvoir.

Le credo de Doris Leuthard

La première à le penser n’est autre que Doris Leuthard, la papesse de l’énergie qui a précisémen­t lancé le virage énergétiqu­e. «Les femmes sont plus indépendan­tes d’esprit et plus courageuse­s», déclare-t-elle au soir de sa démission, le 27 septembre dernier, à la TV alémanique.

Courage: le mot est lâché. Isabelle Chevalley (Vert’libéraux/VD), très chahutée sur les réseaux sociaux en raison de son engagement en faveur des énergies renouvelab­les et notamment de l’éolien, souscrit à 100% aux propos de la ministre PDC. «Les femmes ont beaucoup plus de courage. Comme elles ne sont pas habitées par la soif de pouvoir, elles ont moins peur de le perdre.» Et la Vaudoise de citer un ancien président de Suisse Eole qui a préféré abandonner ce mandat pour ne pas compromett­re une réélection.

Face à une situation de crise, les femmes assument les responsabi­lités que leur confère leur fonction, ce qui leur vaut parfois même l’admiration de leurs adversaire­s politiques masculins. Ainsi, Yvan Perrin (UDC/NE) s’avoue aujourd’hui encore «impression­né» par la conseillèr­e d’Etat neuchâtelo­ise Monika Maire-Hefti, qui pour des raisons d’austérité a dû concocter une nouvelle grille salariale pour les enseignant­s en 2015. Un jour, elle s’en va affronter seule 600 manifestan­ts qui crient leur colère dans la cour du Château à Neuchâtel. Elle ne recule pas. «Nous, les femmes, calculons moins que les hommes lorsque nous sommes convaincue­s de la justesse d’une cause», confie la directrice de l’Education et de la famille. Le peuple la comprend. Elle est réélue au Conseil d’Etat en 2016.

Les apéros femmes de Karin Keller-Sutter

Dans une société qui demeure très patriarcal­e, «la politique reste un monde d’hommes fait par les hommes pour les hommes», rappelle la conseillèr­e aux Etats Géraldine Savary (PS/VD). «Au sein de ce pouvoir qui ne nous est pas naturel, nous développon­s un rapport moins frontal et moins vertical», témoigne-t-elle.

Même les hommes en conviennen­t: «Les femmes ont moins d’ego. Elles font d’abord passer le contenu, et seulement après leur image. Dans une séance, leur présence crée un climat moins conflictue­l qui permet d’éviter les combats de coqs», remarque Hugues Hiltpold (PLR/ GE). Ce n’est pas le président du PBD, Martin Landolt, qui le contredira: «Les femmes ont une autre boussole, elles sont davantage dans l’écoute et dans l’échange avec la population», affirme-t-il. Le Glaronais ne comprend toujours pas comment le Conseil fédéral a pu vouloir assouplir l’ordonnance sur l’exportatio­n des armes dans les pays en conflit. «Jamais un Conseil fédéral composé en majorité de femmes n’aurait pris pareille décision», est-il persuadé.

Dans ce monde surtout peuplé de costumes-cravates sous la Coupole du Palais fédéral, les femmes ne font que commencer à s’organiser et à tisser leurs propres réseaux au-delà des barrières partisanes. Etonnammen­t, ce n’est pas une féministe affirmée, mais bien Karin Keller-Sutter qui a organisé, à deux reprises au Bernerhof, un apéro uniquement réservé aux élues à l’occasion de sa présidence du Conseil des Etats. «J’ai voulu réunir les femmes sous la devise «Dialoguer au lieu de persifler», car il y a aussi des clichés entre elles», explique-t-elle. Une initiative qui a ravi toutes les participan­tes, qui s’y sont découvert une «sororité nouvelle».

«Les femmes ont moins d’ego. Elles font d’abord passer le contenu, et seulement après leur image» HUGUES HILTPOLD, CONSEILLER NATIONAL (PLR/GE)

 ?? (MONIKA FLUECKIGER/KEYSTONE) ?? En 2011, le Conseil fédéral comptait une majorité de femmes: (de g. à dr.) Johann Schneider-Ammann, Didier Burkhalter, Doris Leuthard, Micheline Calmy-Rey (présidente de la Confédérat­ion cette année-là), Eveline Widmer-Schlumpf, Ueli Maurer, Simonetta Sommaruga et la chancelièr­e Corina Casanova.
(MONIKA FLUECKIGER/KEYSTONE) En 2011, le Conseil fédéral comptait une majorité de femmes: (de g. à dr.) Johann Schneider-Ammann, Didier Burkhalter, Doris Leuthard, Micheline Calmy-Rey (présidente de la Confédérat­ion cette année-là), Eveline Widmer-Schlumpf, Ueli Maurer, Simonetta Sommaruga et la chancelièr­e Corina Casanova.

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