Le Temps

Marisa et son «Putain d’AVC!», le témoignage poignant de Roger Simon-Vermot

L'auteur et journalist­e vaudois raconte dans un ouvrage l'AVC de son épouse. Un témoignage poignant écrit avant tout pour informer de la réalité de cette maladie «qui frappe comme la foudre»

- ROGER SIMON-VERMOT CHRISTIAN LECOMTE @chrislecdz­5

La maison est vide. Il fait avec. Ne se laisse pas aller à une forme d’abandon. Au contraire. Il aime par exemple cuisiner et est là aussi plutôt artiste. Pas le genre à enfourner dans le micro-ondes une lasagne surgelée. Il élabore donc de bons plats et s’en délecte seul. Et puis il y a, à toute heure, l’écriture et la peinture qui l’ouvrent au monde. Au-dehors, la matinée d’automne est grise. Un vilain brouillard enveloppe La Sarraz (VD). Peu importe, le clavier de l’ordinateur et le pinceau sur la toile redonnent des couleurs à ses jours.

Roger Simon-Vermot, journalist­e, romancier, scénariste de BD et peintre, vient de publier Putain

d’AVC!, journal de la maladie de son épouse, décédée le 26 mars dernier des suites d’un second accident vasculaire cérébral. En Suisse: 16000 cas par an, un toutes les trente minutes, un quart des victimes en meurent et c’est la troisième cause de mortalité. Roger Simon-Vermot culpabilis­e: «Si j’avais su ce qu’était un AVC, j’aurais sans doute réagi autrement, appelé les secours plus vite.»

Un dimanche midi, il y a sept ans, Marisa, son épouse, prépare le repas. Il est en haut, dans la mezzanine, à regarder à la télévision une descente de la Coupe du monde de ski. Il demande: «On va bientôt manger?» Elle répond, joyeuse: «Dans cinq minutes!» Il la retrouve sur le carrelage, inerte. L’allonge sur un divan. Elle agite un bras, paraît respirer mieux. Il juge que cette chute avec perte de connaissan­ce est un petit malaise. Deux heures plus tard, elle semble plongée dans un sommeil profond. Pierre, leur fils, venu saluer ses parents, décide d’appeler les secours. Le diagnostic est vite posé: accident vasculaire cérébral grave, lobe gauche atteint, paralysie de tout son côté droit. Roger Simon-Vermot explique: «J’ai écrit ce livre pour que les gens ne commettent pas mon erreur, il ne faut pas attendre, il faut appeler le 144 parce que plus la prise en charge est précoce, plus les chances de guérison sont élevées.» Il enchaîne: «Si vous avez des étourdisse­ments, des pertes d’équilibre ou de la vue, des états confusionn­els, consultez.»

Prénoms changés

Le professeur Patrick Michel, médecin chef au Centre cérébrovas­culaire du Service de neurologie du CHUV, a signé la préface du livre de Roger Simon-Vermot et l’a invité le 29 octobre dernier lors de la Journée mondiale de l’AVC. Roger a consigné pendant cinq mois dans des carnets noirs à spirale le quotidien de Marisa, là-bas, à l’hôpital. Les tuyaux reliés à des récipients en plastique, les bips-bips du scope, les sondes, les perfusions. Elle, allongée, méconnaiss­able dans une chasuble blanche, endormie. Et puis les progrès rapides qui stupéfient les soignants: elle mange seule avec sa main gauche, susurre un oui au physio. Une amie, gérante du kiosque en face de la boutique de BD de Marisa, lui offre une ardoise effaceuse. Elle refuse, veut se servir de sa voix.

«Je l’aime plus qu’avant»

Etonnammen­t, dans son livre, Roger Simon-Vermot nomme sa femme Céline et non pas Marisa. Et son fils Michel au lieu de Pierre. «Je ne sais pas pourquoi, comme si je ne réalisais pas que c’était une histoire vraie, j’ai inventé des prénoms, pour avoir du recul», justifie-t-il. Il parle peu de lui, de son existence durant l’absence, ses 5 kilos perdus la première semaine de l’hospitalis­ation.

Face à nous, ce jour-là, il consent à se lâcher, montre des photos des belles années: «Je l’aime plus qu’avant.» Ils se sont rencontrés au Locle. Fille d’une famille vénitienne, père mécano, mère couturière, cinq enfants. «Je connaissai­s son frère, il a arrangé le coup pour que je la rencontre», sourit-il. Ils se marient en 1963. Lui est typographe mais on le laisse vite écrire parce qu’il a une belle plume. L’Illustré l’envoie portraitur­er des célébrités à Paris et ailleurs, «quatre ou cinq pages, deux à trois jours parti, la grande époque du journalism­e, on avait du temps et de la place.» Il collection­ne des BD, en a des milliers qui vont garnir les rayons de la librairie de Marisa. Avec son cher et regretté Mix & Remix, Roger publie en 2015 chez Slatkine PT de rire!, un recueil hilarant d’allographe­s (suite de lettres qui ont un sens si elles sont prononcées les unes après les autres). Exemple: un hérisson demande: «TTOQPIR?» Un autre hérisson lui répond: «IRGTRIC.»

Les mots ont été et sont pour Roger Simon-Vermot les amis du quotidien, rendez-vous enjoués ou pesants. Son journal de Marisa décortique les lendemains d’un AVC, les séances avec les physios, le logo et l’ergo, l’apprentiss­age du transfert lit-fauteuil roulant, ce même fauteuil poussé dans un jardin d’hôpital un après-midi de printemps, promenade douce et mélancoliq­ue, ce Skype avec l’Italie et cette comptine d’enfance que Marisa chante avec sa soeur. Le docteur Patrick Michel a aimé l’ouvrage parce qu’il montre les hauts et les bas de l’AVC, la vie qu’il faut recommence­r à zéro, le réapprendr­e à parler, marcher, manger, comme un enfant. Lorsque Marisa est revenue à la maison, Roger Simon-Vermot a appris à devenir proche aidant. A ce mot, il a préféré celui de proche aimant.

«J’ai écrit ce livre pour que les gens ne commettent pas mon erreur, il ne faut pas attendre, il faut appeler tout de suite le 144»

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