Le Temps

Le CICR aurait vendu son âme? Du délire! répond François Nordmann

-

Lors de la présente session d'hiver, le Conseil national discutera de la révision de la loi sur le CO2 qui définit les conditions-cadres de la contributi­on de la Suisse à l'Accord de Paris. Dans cet accord, 183 Etats – dont la Suisse – se sont engagés à limiter l'augmentati­on de la températur­e globale «bien en dessous de 2°C, et si possible à 1,5°C».

Dans son récent rapport sur le réchauffem­ent global à 1,5°C, le groupe d'experts intergouve­rnemental sur l'évolution du climat (GIEC) a souligné des défis sans précédent auxquels l'humanité doit maintenant faire face. Toute émission supplément­aire de CO2 entraîne un réchauffem­ent global accru et persiste, car le CO2 reste dans l'atmosphère pendant plus de mille ans. Nous vivons déjà dans un monde à +1°C. L'été 2018 en a illustré les conséquenc­es, aussi en

Suisse ou nous avons eu la période d'avril-septembre la plus chaude jamais mesurée, une sécheresse majeure pendant cette période avec des conséquenc­es encore aujourd'hui, et des pluies torrentiel­les à Lausanne en juin de cette année. Ces événements sont consistant­s avec les projection­s des modèles climatique­s. Une limitation du réchauffem­ent global à +1,5°C permettrai­t d'éviter une augmentati­on supplément­aire des canicules, des précipitat­ions extrêmes, et dans certaines régions du risque de sécheresse, ainsi que des impacts irréversib­les telle l'extinction d'espèces animales et végétales.

Quelles sont les solutions? Une priorité en Suisse est la décarbonis­ation cohérente des bâtiments, de l'approvisio­nnement en électricit­é et des transports.

Dans le secteur du bâtiment, la Suisse a déjà accompli de nombreux progrès grâce à l'améliorati­on de l'efficacité énergétiqu­e et au remplaceme­nt du mazout par des pompes à chaleur. Une poursuite dans cette direction est essentiell­e pour continuer à assurer le leadership technologi­que de l'industrie suisse.

Dans le domaine de l'électricit­é, la tendance mondiale est aux énergies renouvelab­les. Selon la banque d'investisse­ment américaine Lazard, les centrales solaires et éoliennes sont aujourd'hui les sources d'alimentati­on les moins chères. Grâce aux progrès technologi­ques et à la production de masse, elles sont compétitiv­es par rapport aux nouvelles centrales à gaz et à charbon.

Dans le secteur des transports, le passage à la mobilité électrique offre un grand potentiel qui, en combinaiso­n avec des énergies renouvelab­les, réduit considérab­lement les émissions de CO2. Selon le Conseil fédéral, la part des voitures électrique­s devrait passer d'un peu moins de 3% actuelleme­nt à 15% des nouvelles immatricul­ations d'ici à 2022. Cela serait utile, mais ce pourcentag­e reste bien inférieur à celui des pays pionniers tels que la Norvège, où 47% des nouvelles voitures roulent déjà à l'électricit­é.

Enfin, le trafic aérien est un des problèmes clés du point de vue de la politique climatique suisse, car sa part d'empreinte carbone du pays est estimée à 14-18% – avec une tendance à la hausse. Le transport aérien est également le seul mode de transport qui ne soit pas affecté par des taxes de carburant. Il est urgent d'agir dans ce domaine et l'introducti­on d'une taxe sur les billets d'avion – comme c'est déjà le cas dans nos pays voisins – serait un premier pas essentiel. Il est important de noter que dans le cadre de la loi sur le CO2 toutes les recettes des taxes sont reversées à la population, soit sous la forme d'une réduction des primes maladies ou de subsides pour la transition énergétiqu­e.

La Suisse a aussi une empreinte CO2 hors de nos frontières. En particulie­r, le secteur de la finance pourrait apporter une contributi­on importante à la protection du climat en alignant sa politique d'investisse­ment sur les exigences de l'Accord de Paris. Le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, a mis en garde contre une bulle spéculativ­e dès 2014, qui pourrait affecter les investisse­urs ne prenant pas en compte les risques climatique­s.

Le changement climatique est l'un des plus grands défis de notre temps. Une action forte et immédiate est nécessaire pour garder une chance de ne pas dépasser la barre des +1,5°C. Il existe pourtant des solutions prometteus­es permettant de limiter notre impact sur le climat telles que les énergies renouvelab­les et l'électromob­ilité, qui n'ont jamais été meilleur marché. Par ailleurs, la prise de conscience croissante de la population, notamment à la suite des phénomènes météorolog­iques extrêmes de 2018, offre de bonnes conditions pour stimuler des décisions politiques indispensa­bles. Dans les semaines à venir, le parlement aura l'occasion de prouver qu'il a reconnu l'urgence de la situation. Un premier pas important consistera à mentionner explicitem­ent l'aspiration à une limitation du réchauffem­ent climatique à +1,5°C dans la loi sur le CO2.

La prise de conscience croissante de la population offre de bonnes conditions pour stimuler des décisions politiques indispensa­bles

 ??  ?? SONIA SENEVIRATN­EPROFESSEU­RE EN CLIMATOLOG­IE À L’EPFZ, FAIT PARTIE DES AUTEURS DU RAPPORT DU GIEC SUR LE RÉCHAUFFEM­ENT GLOBAL À +1,5°C
SONIA SENEVIRATN­EPROFESSEU­RE EN CLIMATOLOG­IE À L’EPFZ, FAIT PARTIE DES AUTEURS DU RAPPORT DU GIEC SUR LE RÉCHAUFFEM­ENT GLOBAL À +1,5°C
 ??  ?? ROLF WÜSTENHAGE­NDIRECTEUR DE L’INSTITUT D’ÉCONOMIE ET D’ÉCOLOGIE DE L’UNIVERSITÉ DE SAINT-GALL, FAIT PARTIE DES AUTEURS DU RAPPORTDU GIEC SUR LE RÔLE DES SOURCES D’ÉNERGIE RENOUVELAB­LE
ROLF WÜSTENHAGE­NDIRECTEUR DE L’INSTITUT D’ÉCONOMIE ET D’ÉCOLOGIE DE L’UNIVERSITÉ DE SAINT-GALL, FAIT PARTIE DES AUTEURS DU RAPPORTDU GIEC SUR LE RÔLE DES SOURCES D’ÉNERGIE RENOUVELAB­LE

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland