«Le séisme andalou», ou l’inquiétante envolée de l’extrême droite
Le petit parti d’extrême droite a fait son entrée dimanche au parlement andalou avec 12 sièges, dans une région qui est traditionnellement un bastion socialiste. Un avant-goût de ce qui pourrait se passer à l’échelle du pays
«Le séisme andalou.» Plusieurs médias ont ainsi traduit l’énorme surprise provoquée par les résultats des législatives andalouses dimanche soir. Dans ce qui est depuis près de quatre décennies «le» bastion socialiste, la région la plus peuplée et la plus fragile sur le plan social, l’extrême droite a fait irruption avec fracas. Quelle que soit sa sensibilité politique, les Espagnols ont aussitôt compris que le nouveau et explosif panorama de l’Andalousie n’est qu’un avant-goût de ce qui se prépare à l’échelle nationale: ultraconfidentielle depuis la fin du franquisme, l’extrême droite a émergé de façon durable. «Il faudra désormais compter avec elle, dit le journal conservateur ABC. Personne n’avait vu les signes avant-coureurs de cette déflagration dont les effets ne vont que commencer à se faire sentir.» «Le parti des indignés»
Historiquement l’Andalousie, avec ses huit millions d’habitants, est associée à un fortin socialiste, son principal vivier, dont provient son grand mentor, Felipe Gonzalez, chef du gouvernement entre 1982 et 1996. Les analystes s’attendaient à ce que la «baronne» Susana Diaz affermisse sa domination sur cette région, d’ordinaire étrangère aux extrémismes de toutes sortes. Or non seulement son parti a connu une hécatombe en chutant de 47 sièges à 33, mais il a permis une montée jamais vue des droites. En particulier les libéraux de Ciudadanos qui passent de 9 à 21 députés. Et, bien davantage encore, les extrémistes de Vox (de zéro à 12 sièges, presque 400 000 suffrages) qui, pourtant, n’ont pas de racines spécifiques en Andalousie. Son leader local, Francisco Serrano, condamné pour prévarication en 2011, est un juriste qui s’est fait connaître pour ses attaques contre le «fondamentalisme féministe». Mais il est dépourvu de tout ancrage populaire.
De l’avis général, on assiste à un vote contestataire. Peu après son score inattendu, Francisco Serrano a su le résumer par cette phrase: «Vox est le parti des indignés.» L’expression illustre bien l’évolution électorale: jusqu’alors, en Andalousie comme en Espagne, Podemos était l’indiscutable formation des sans-voix, des contestataires, des rebelles. Le parti de Pablo Iglesias avait su concrétiser cette révolte née de l’explosion sociale du 15 mai 2011 incarnée par «les indignés». Au sortir des urnes andalouses, Podemos stagne avec 17 sièges, sans profiter de la chute de son rival socialiste. «On n’a pas voulu voir une colère profonde, dit l’analyste Teodoro Gross. La gauche radicale de Podemos a perdu de sa représentativité. La droite radicale de Vox, sans scrupules ni complexes, rassemble davantage grâce à un rasle-bol et une désorientation considérables.»
A l’image de son leader Santiago Abascal, un «patriote» qui s’est toujours distingué par ses discours enflammés contre les nationalistes catalans ou basques, Vox n’était jusqu’ici représentée dans aucun parlement espagnol – ni à la Chambre des députés à Madrid ni dans aucun des 17 hémicycles régionaux. A chaque élection, on avait coutume de dire, en substance: le vaccin du franquisme continue d’opérer. Comme le Portugal, l’Espagne était cette drôle de nation modérée demeurant imperméable aux vents mauvais des populismes d’extrême droite qui soufflaient sur l’Europe. Mais, depuis l’été, un manifeste de «100 mesures pour une Espagne vive» ainsi qu’un meeting madrilène de Santiago Abascal plein à craquer en octobre ont changé la donne. En novembre, les instituts de sondage créditaient les extrémistes de 3% des suffrages. Véhémentes et simplistes, les mesures préconisées par Vox commencent à faire mouche auprès d’un certain électorat: suppression des subventions pour les organisations féministes, déportation de tous les sans-papiers, construction de «murs infranchissables» à Ceuta et à Melilla, suppression de tous les parlements régionaux au profit d’une recentralisation du pays, exaltation des «héros nationaux», etc.
L’épouvantail du séparatisme
Autre facteur crucial de l’apparition de Vox: l’énorme tension vécue dans toute l’Espagne l’an dernier lorsque les leaders séparatistes ont organisé le 1er octobre un référendum illégal et interdit. «Cela a blessé le sentiment patriotique de beaucoup de gens, et on a eu l’impression que la nation n’était pas défendue par ceux qui devaient nous défendre et que des sécessionnistes bien organisés pouvaient dynamiter l’unité espagnole, souligne le locuteur de radio Federico Losantos, luimême très espagnoliste. A mon sens, l’irruption de Vox dit clairement que beaucoup ont voté contre la tyrannie de la bienpensance politique.»
A cela, il faut ajouter l’efficacité d’une campagne des dirigeants de Vox très agressive sur les réseaux sociaux, autour de ce slogan: «Tu fais partie de Vox et tu ne le sais pas encore.» Le tocsin andalou affaiblit en tout cas considérablement le chef du gouvernement Pedro Sanchez, qui a appelé «à défendre la démocratie espagnole». De peur de voir se concrétiser plus avant la montée en puissance de Vox, il a reporté sine die la tenue d’élections générales. D’ici là, les élections européennes et municipales du printemps prochain permettront de mieux mesurer l’ampleur de l’extrême droite espagnole.
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A chaque élection, on avait coutume de dire: le vaccin du franquisme continue d’opérer. Mais depuis l’été, le manifeste «100 mesures pour une Espagne vive» a changé la donne