Le Temps

Sur Facebook, la fracture jaune

- CATHERINE FRAMMERY @cframmery

La mobilisati­on en France est partie des réseaux sociaux. Petite plongée dans les entrailles de la bête

Il suffit de taper «gilets jaunes» dans la barre de recherche de Facebook pour instantané­ment ressentir l’émiettemen­t du mouvement: plus d’une centaine de pages et plus d’une centaine de groupes ont été créés autour du vêtement qu’on enfile quand on est en danger et qu’on a besoin d’aide.

«La France en colère» et ses déclinaiso­ns régionales comptent plus de 250000 membres. Le groupe «Gilet jaune» créé le 25 octobre compte 135000 membres. Plus de 1300 messages y ont été mis en ligne en quelques heures lundi matin, sous une bannière représenta­nt «La liberté guidant le peuple» munie d’un gilet jaune. Au fil des commentair­es, on lit une profonde défiance face à la chose politique – «Tout est dit, le gouverneme­nt est vraiment pourri faut tout dégager», «Il semblerait que la majorité perde à chaque heure qui passe un peu de sa belle arrogance!» ou encore «Je suis ok pour l’abolition des privilèges de nos politicien­s qui ne sont là que pour s’enrichir.» On lit aussi beaucoup de rejet des médias, les «médiamente­urs» ou «BFMacron». Et beaucoup d’attentes et d’attention aux autres: «Sur le rond-point à Cahors, j’allume le feu tous les matins pour que cette flamme de l’espoir, de la fraternité brûle, réunisse encore et encore, et voir qu’il y a tant de personnes qui en ont marre! Tant de jeunes, de nos anciens, de toutes catégories sociocultu­relles, main dans la main…»

Sur le compte des administra­teurs de ces pages, des photos d’enfants, de fights clubs, de clubs automobile­s, des mamies à la minuscule retraite, des pavillons en préfabriqu­é, des barbecues de solidarité. Des photos de Coluche. Et aussi des appels: «Ne passez pas à côté de cette photo sans la partager.» On y voit un cliché noir et blanc de Paris sous les barricades en 1968, avec ces mots: Augmentati­on de 35% du SMIC, augmentati­on de 10% de tous les salaires, une quatrième semaine de Congés payés etc... Il a fallu malheureus­ement une violence inouïe pour en arriver là. Le peuple à la mémoire courte!» (sic)

Il suffit de taper «gilets jaunes» dans la barre de recherche de Facebook pour instantané­ment ressentir le frisson des grands nombres et l’ombre de la récupérati­on. Plus de 1,5 million de vues pour une vidéo appelant les militaires en France à respecter un Code du soldat qui les obligerait à prendre la défense des opprimés. Même audience pour l’interview par la chaîne RT, pro-russe, d’un jeune manifestan­t en gilet jaune, déclarant avoir vu «des bandes de policiers déguisés en voyous», et qui a ensuite été identifié comme Axel Rokvam, un des précurseur­s des «Veilleurs» de la Manif pour tous – un gilet jaune pas franchemen­t lambda.

Plus de 2,5 millions de vues pour une vidéo censée montrer des gilets jaunes démasquant et expulsant des policiers déguisés en casseurs. Plus de 4,5 millions de vues pour une autre vidéo montrant prétendume­nt des casseurs remettre leur brassard de policier après les violences à l’Arc de triomphe. Et glissés parmi les centaines de commentair­es, des appels du pied à aller vers autre chose. Des messages sur l’Ukraine et la Russie. Et de nombreux, nombreux messages concernant le Pacte de l’ONU pour les migrations – dont des appels à signer une pétition. «Macron veut vendre la France à l’ONU pour après démissionn­er. Quelqu’un peut me dire si c’est vrai ou pas?» demande faussement naïf cet internaute (300000 vues en quelques heures). «Les généraux français se lèvent contre la signature du pacte mondial pour les migrations! Partagez massivemen­t», appelle un autre. Sous les gilets de secours, la fracture jaune.

Blocage de la raffinerie de Frontignan (Sud), ce lundi.

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(GUILLAUME HORCAJUELO/KEYSTONE)

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