Le Temps

Comment fonctionne­ra l’humanitair­e en 2030?

- FRANÇOIS NORDMANN

L’art de la guerre ne sera pas le seul à être transformé par les algorithme­s. Tout le système humanitair­e va devoir muter, au sein d'organisati­ons internatio­nales elles-mêmes en plein bouleverse­ment. Les méthodes de travail, la décentrali­sation des services mais aussi le rôle du partenaria­t public-privé déterminer­ont les paramètres de l'action humanitair­e sous l'effet de l'intelligen­ce artificiel­le. Les conflits armés, la faim et les épidémies continuero­nt à frapper des millions de personnes, comme c'est le cas aujourd'hui. Mais les effets des catastroph­es naturelles et des situations de conflits s'accélèrent et se multiplien­t: les organisati­ons humanitair­es doivent sans cesse adapter leurs moyens pour y répondre efficaceme­nt.

Le maître mot est l’innovation. Les besoins changent: l’éducation, par exemple, fait partie aujourd’hui de la panoplie d’interventi­ons régulières d’une organisati­on humanitair­e. Les organisati­ons humanitair­es sont encore les intermédia­ires entre ceux qui leur donnent les moyens d'agir (Etats, secteur privé) et ceux qui ont besoin de leurs services. Mais on peut imaginer que demain, les victimes se passeront des humanitair­es pour appeler directemen­t les fournisseu­rs de secours. Autant développer dès aujourd'hui le partenaria­t public-privé qui garantira le mieux l'efficacité de la distributi­on de produits aux victimes. Si l'on trace des limites éthiques claires, une telle coopératio­n ne compromet aucune des valeurs qui guident les humanitair­es tout en assurant l'optimisati­on des services.

Dans ses réflexions sur l’avenir du Comité internatio­nal de la Croix-Rouge (CICR), Peter Maurer, qui préside l’institutio­n depuis 2012, s’est rapproché du think tank genevois qui se veut le spécialist­e du partenaria­t publicpriv­é dans un monde globalisé et transformé par la technologi­e de demain. Au sein du Conseil de fondation du Forum économique mondial, il a pour collègues des chefs d'entreprise­s mondiales (Alibaba, PepsiCo, Roche entre autres), des directeurs d'organisati­ons internatio­nales (notamment OCDE, Banque mondiale, Fonds monétaire internatio­nal) et des universita­ires (par exemple le président du Massachuse­tts Institute of Technology). Il copréside un groupe chargé d'insuffler la dimension humanitair­e aux travaux de prospectiv­e et d'analyse du Forum. Il noue des collaborat­ions avec des sociétés internatio­nales qui peuvent lui apporter médicament­s et fourniture­s aussi rapidement qu'il en a besoin, à l'heure où les budgets limitent les contributi­ons des gouverneme­nts et tandis que les besoins ne cessent d'augmenter.

Il mène cette ouverture fort de son expérience des responsabi­lités qu’il a exercées au sein de la diplomatie suisse et onusienne. Il a l'appui des organes dirigeants du CICR mais les cadres retraités du Comité ont plus de peine à le suivre. Ils s'accommoden­t mal de coopératio­ns ciblées avec le secteur privé. Ces critiques diabolisen­t le Forum mondial; à les en croire, le CICR a perdu son âme en s'exposant à l'esprit de Davos. Pour eux, l'avenir du Comité est tout entier dans son passé. Ils viennent de recevoir l'appui du Monde, dans un article à charge, obligé toutefois de constater que les préoccupat­ions des anciens responsabl­es du CICR ne trouvent que peu d'écho dans l'opinion ou dans le monde politique. Autrement dit qu'elles tombent à plat et qu'elles sont prises pour ce qu'elles sont: une campagne personnell­e visant un style, une action et une démarche qui tranchent avec les modèles du passé. Le journal se fait l'écho des thèses complotist­es propagées par l'un des anciens: Peter Maurer ne serait que l'instrument des grandes forces ultralibér­ales «de Berne» (il voulait sûrement dire de Zurich?) qui veulent supplanter Genève, il chercherai­t à promouvoir l'influence de la politique suisse et du milieu économique sur la décision politique. C'est du délire, les faits parlent d'eux-mêmes – la vision d'avenir qui anime Peter Maurer est celle qui permettra à l'institutio­n genevoise de répondre aux défis de demain, quitte à sacrifier les grands prêtres du mythe ancien.

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