Le Temps

Les secrets de la matière noire se cacheraien­t-ils dans des cailloux?

- HUGO RUHER

Les astronomes cherchent des preuves de son existence depuis plusieurs dizaines d’années. La clé de l’énigme de la matière noire pourrait se trouver non pas dans les confins de l’Univers, mais profondéme­nt enfouie sous terre

Voilà quarante ans que les physiciens traquent la matière noire. Ils ont pour cela construit des instrument­s sous terre, envoyé des satellites dans l’espace, mais cette matière demeure insaisissa­ble. Dans un article récemment publié sur l’archive en ligne spécialisé­e ArXiv, des scientifiq­ues de l’Université de Stockholm proposent une nouvelle méthode pour «attraper» les particules qui la composent: analyser des minéraux enfouis sous terre depuis des centaines de millions d’années, dans l’espoir d’y trouver des traces de leur passage.

La matière noire fait parler d’elle depuis les travaux de l’astrophysi­cien Fritz Zwicky en 1933. Ce dernier remarqua que des galaxies se déplaçaien­t à des vitesses anormaleme­nt élevées par rapport à ce que prévoyait la théorie. Si élevées que cela ne pouvait s’expliquer que d’une manière: les galaxies en question étaient en fait beaucoup plus lourdes que ce qu’on pensait. Mais quelles particules étaient responsabl­es de cette masse? Les physiciens ont conclu à l’existence d’une matière noire, invisible, sans avoir d’idée de sa nature exacte. «Vagues» de matière noire

Car malgré son abondance dans l’Univers – elle serait au moins cinq fois plus abondante que la matière «normale» – personne n’a jamais réussi à la détecter. Et cela, malgré la constructi­on de détecteurs de plus en plus sensibles, tels que le Xenon1T. Installé dans le laboratoir­e souterrain du Gran Sasso en Italie, celui-ci utilise un cristal de xenon qui pourrait vibrer en cas d’interactio­n avec une particule de matière noire – que les chercheurs ont baptisé wimp. Las, les grands détecteurs sont jusqu’ici restés muets.

Dans la nouvelle étude, l’idée est à peu près la même, sauf qu’au lieu de chercher à prendre ces interactio­ns sur le fait, les chercheurs préfèrent les traquer dans le passé, en étudiant des roches profondéme­nt enfouies dans le sol. Celles-ci pourraient abriter des minéraux ayant interagi avec des wimps dans un passé lointain. Cela permettrai­t théoriquem­ent d’avoir accès à des échantillo­ns vieux de plus d’un milliard d’années. S’il y a bien, comme le pensent les scientifiq­ues, des «vagues» de matière noire qui traversent notre Voie lactée, ces roches auraient à un moment ou à un autre été en contact avec les fameuses particules.

Mais face à cette promesse enthousias­mante se dresse un obstacle: il faut que ces échantillo­ns aient été préservés toutes ces années. Il sera impossible de détecter la signature des wimps si les minéraux ont été en contact avec le rayonnemen­t cosmique qui frappe la Terre continuell­ement. Même problème pour la radioactiv­ité. Or on trouve dans la croûte terrestre d’importante­s quantités d’uranium.

Les chercheurs pensent tout de même pouvoir trouver leur bonheur dans des roches ultrabasiq­ues, qui se sont formées dans le manteau terrestre, comme de l’olivine. Mais aussi dans des évaporites marines, notamment de la halite qu’on trouve dans les bassins sédimentai­res. Ces minéraux ont été à l’abri des rayonnemen­ts du soleil, et ont l’avantage de se trouver dans des endroits où l’uranium est plus rare. Ils ont prévu d’utiliser des puits de forage déjà existants, que ce soit pour des recherches géologique­s ou industriel­les. C’est en Afrique du Sud et en Sibérie que se trouvent les roches les plus adéquates.

Fausses signatures

David Elbaz, astrophysi­cien au Commissari­at français à l’énergie atomique, et auteur d’un livre sur la matière noire, a pu consulter l’étude: «C’est une bonne méthode, on devrait pouvoir trouver des collisions, mais ça reste de la théorie. Les auteurs sont persuadés de pouvoir distinguer ce qui relève de la radioactiv­ité. Or, on se rend compte dans la pratique que c’est beaucoup plus compliqué que ça.» Dans une interview accordée à Nature, les auteurs de l’étude se disent confiants et pensent pouvoir détecter les fausses signatures.

Cela vaut de toute façon le coup d’essayer, pour David Elbaz: «A propos de la matière noire, il ne faut rien s’interdire. Toute notre physique actuelle repose dessus! On arrive à un stade où soit on trouve des preuves et il faut revoir tout notre corpus de connaissan­ce. Soit on découvre qu’elle n’existe pas, et ça bouleverse ce qu’on croit acquis depuis des siècles.»

Un bloc d’olivine. Selon des chercheurs, cette roche pourrait receler des preuves de l’existence de la matière noire.

«A propos de la matière noire, il ne faut rien s’interdire. Toute notre physique actuelle repose dessus!» DAVID ELBAZ, ASTROPHYSI­CIEN AU COMMISSARI­AT FRANÇAIS À L’ÉNERGIE ATOMIQUE

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(MONIQUE BERGER/BIOSPHOTO)

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