Le Temps

La nouvelle chaîne de valeur de la gestion des déchets

- DOMINIQUE PIN INGÉNIEUR DES ARTS ET MANUFACTUR­ES, ADMINISTRA­TEUR D’HELVETIA ENVIRONNEM­ENT

Il fut un temps pas si lointain où la production croissante de déchets par la société n’était pas perçue comme un danger, mais plutôt comme un baromètre de la prospérité. La population consommait avec appétit des biens que l’industrie produisait en quantités toujours plus importante­s, tout en offrant à cette population des emplois, à leur tour générateur­s des revenus qui permettaie­nt d’entretenir le cycle.

De même que la fumée des cheminées d’usine ne faisait pas craindre une pollution dangereuse mais donnait la garantie que, le soir à la maison, la soupe aussi fumerait dans l’assiette, l’amoncellem­ent des déchets témoignait d’un confort de vie qui s’accroissai­t au rythme de l’accumulati­on de produits et de biens mieux adaptés, plus performant­s ou tout simplement plus séduisants! Dans la seconde moitié du XXe siècle, on a d’ailleurs pu établir une corrélatio­n entre la production de déchets d’un pays et son niveau supposé de «richesse», fondé sur l’indicateur du produit intérieur brut.

C’est à partir de ce modèle économique que le secteur profession­nel de la gestion des déchets a connu un formidable essor et construit sa réussite, tout en assurant une mission essentiell­e de service public – celle qui consiste à sauvegarde­r le milieu naturel en apportant aux déchets un traitement efficient et respectueu­x de l’environnem­ent. Mais le système a commencé à se gripper quand on a pris conscience que ce modèle d’économie linéaire ne serait pas tenable dans la durée. Avec une population mondiale qui a triplé au cours des 70 dernières années, et qui aspire à des conditions d’existence dignes et à un confort de vie satisfaisa­nt, la ponction sur les ressources naturelles a atteint un niveau qui ne pourra être maintenu indéfinime­nt.

En 2018, c’est le 1er août qu’est survenu le «jour du dépassemen­t», ce jour où l’humanité a consommé la totalité des ressources naturelles que la Terre peut régénérer en une année: on est saisi de vertige quand on sait qu’il y a seulement cinquante ans le renouvelle­ment de ces ressources était assuré dans l’année! Si l’on veut retrouver un rythme de développem­ent durable, il faut que la société opte pour une croissance moins gourmande en énergie et moins agressive en matière climatique. C’est la raison de toutes les dispositio­ns qui sont prises au niveau mondial pour limiter le gaspillage et assurer la transition énergétiqu­e. Et c’est ce qui a conduit à préconiser une hiérarchie dans les modalités de traitement des déchets, en donnant la priorité à la prévention qui consiste à diminuer la production de déchets et à «découpler» celle-ci de la croissance économique.

Nous nous sommes délibéréme­nt adaptés à ce changement radical de paradigme. Bien plus, l’entreprise est devenue un acteur incontesta­ble de la mutation vers l’économie circulaire.

Mais lorsque nous affirmons, en notre qualité de gestionnai­re de déchets, que nous mettons en oeuvre les nouveaux préceptes écologique­s, et que nous souscrivon­s aux démarches de prévention et de réduction des déchets, beaucoup de nos interlocut­eurs s’interrogen­t: «Quel intérêt, nous disent-ils, auriez-vous à inciter vos clients à réduire leur production de déchets et à amoindrir ainsi votre chiffre d’affaires?»

La réponse est simple: nous acceptons que notre métier change de physionomi­e, et au lieu de placer l’éliminatio­n des déchets au coeur de l’activité, c’est la valorisati­on qui devient notre priorité. Et si aujourd’hui toutes les entreprise­s industriel­les travaillen­t à réduire leurs pertes de matière, leurs résidus de fabricatio­n, ainsi que les déchets qu’engendre leur activité, cette baisse du volume des déchets ne se traduit pas par une diminution des quantités à recycler: au contraire, la modificati­on du mix de traitement des déchets entre recyclage et valorisati­on matière, d’une part, et incinérati­on et stockage, d’autre part, contribue à faire arriver de nouveaux flux dans les centres de tri.

Notre modèle économique se trouve transformé par un bouleverse­ment profond de la chaîne de valeurs: au lieu de tirer nos revenus des prestation­s d’éliminatio­n, nous les obtenons de nos activités de tri et de la remise sur le marché des matières premières secondaire­s qui sont extraites des déchets qui nous sont confiés. Et si ceux-ci diminuent en volume, leur prise en charge réclame des actions plus complexes, plus diversifié­es, qui s’avèrent au final génératric­es de nouveaux développem­ents.

Tout cela conduit à une valeur ajoutée supérieure à celle que l’on retire à véhiculer simplement des déchets de leur lieu de production à un lieu d’éliminatio­n finale.

Loin d’apparaître comme une menace sur notre activité, cette évolution radicale dans la gestion des déchets est une opportunit­é pour repenser et reposition­ner son métier dans la perspectiv­e d’un développem­ent plus durable et mieux maîtrisé. C’est pourquoi nous souscrivon­s sans réticence aucune, mais avec confiance et déterminat­ion, à la politique publique de réduction des déchets.

Dans le secteur du traitement des déchets, la priorité est désormais donnée à la prévention, qui consiste à diminuer la production de déchets et à «découpler» celle-ci de la croissance économique.

Au lieu de placer l’éliminatio­n des déchets au coeur de l’activité, c’est la valorisati­on qui devient notre priorité

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(TORU HANAI/REUTERS)
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