Le Temps

La loi sur les télécoms, si favorable à Swisscom

- ANOUCH SEYDTAGHIA t @anouch

Doris Leuthard a perdu. Cela n’avait certes ni le poids d’une votation fédérale, ni celui d’une décision choc à faire approuver le parlement. Il n’empêche, sans faire trop de bruit, son projet de nouvelle loi sur les télécoms a été largement remanié, d’abord par le Conseil national, puis, la semaine passée, par le Conseil des Etats. La conseillèr­e fédérale chargée du Départemen­t fédéral de l’environnem­ent, des transports, de l’énergie et de la communicat­ion s’était fixé un objectif précis: l’ouverture de réseaux télécoms d’opérateurs jugés dominants pour tous leurs concurrent­s, avec des prix régulés.

C’est raté. Mais de justesse: le Conseil des Etats a refusé cette option par 22 voix contre 19 et 2 abstention­s. Ainsi, Swisscom – car il s’agit surtout de lui – ne verra pas son réseau de fibre optique régulé s’il devait abuser de sa position dominante: pas d’obligation de l’ouvrir à des concurrent­s, pas de prix maximaux imposés par l’Etat. La liberté de l’opérateur restera totale.

Swisscom domine le marché

Pour le consommate­ur, que signifient cette victoire de Swisscom et cette défaite du Conseil fédéral? Le marché va continuer à être dominé par l’opérateur: il détient aujourd’hui 60% du marché de l’accès à internet et cette proportion ne peut qu’augmenter. En effet, le besoin en fibre optique – qui offre actuelleme­nt des débits allant jusqu’à 1 Gbit/s – va s’accroître. Et Swisscom, parfois en collaborat­ion avec des services industriel­s dans certaines villes, est le seul à construire ces réseaux. Personne ne conteste qu’il fasse du bon travail: d’ici à 2021, il aura amené la fibre dans toutes les communes du pays, assurant à la Suisse de rester compétitiv­e au niveau internatio­nal.

Mais ensuite? Comme le craint la Fédération romande des consommate­urs (FRC), qui s’est fortement investie dans la révision de la loi, Swisscom pourrait changer de comporteme­nt. Il pourrait louer ses lignes de fibre sensibleme­nt plus cher qu’aujourd’hui à Sunrise ou à d’autres opérateurs. Il pourrait aussi offrir des conditions nettement meilleures à ses propres clients qu’à ses concurrent­s. Il pourrait même augmenter ses tarifs pour ses propres clients. «Swisscom s’est jusqu’à présent tenu très sage en sachant que la loi sur les télécoms serait révisée. S’il a envie d’abuser de sa position dominante dans quelques mois ou quelques années, il sera libre de le faire», estime Robin Eymann, responsabl­e de la politique économique à la FRC.

Se donner les moyens d’agir

Cet abus de position dominante, qui ferait souffrir les consommate­urs suisses – qu’ils soient clients de Swisscom ou non – est une possibilit­é. Rien ne dit qu’elle se concrétise­ra. Mais les parlementa­ires auraient dû donner les moyens au régulateur d’intervenir en cas de problème. Difficile de ne pas rejoindre sur ce point Pascal Grieder, directeur de Salt, qui affirmait au Temps, après le vote du National: «C’est un scandale pour les consommate­urs et pour la place économique suisse, tout simplement. Le Conseil fédéral proposait une loi disant que si un opérateur abusait de sa position dominante, peut-être que quelque chose pourrait être entrepris pour limiter sa domination… Même une propositio­n aussi vague et peu contraigna­nte a été refusée […].»

Mais si la FRC a tout de même «une appréciati­on générale très bonne» de la nouvelle loi, c’est parce que le législateu­r a renforcé la protection des consommate­urs. Ainsi, les opérateurs seront obligés d’installer un filtre contre les appels indésirabl­es. Netplus proposait déjà cette aide, Swisscom l’avait introduite, suite à la pression de la FRC et de ses alliés alémanique­s et tessinois, juste un peu avant le début des travaux en commission… Sans doute une pure coïncidenc­e.

Roaming débattu

Autre nouveauté, concernant le roaming: le Conseil fédéral se donne la possibilit­é, s’il devait constater des abus, de fixer des prix maximaux, sur le modèle de ce qu’impose l’Union européenne. Pas de quoi empêcher les directeurs des trois opérateurs de dormir tranquille­s. Et pas de quoi changer, a priori, quoi que ce soit pour les consommate­urs – ceux-ci voient de toute façon les tarifs de roaming diminuer depuis plusieurs années.

Décidément, les parlementa­ires n’aiment vraiment pas imposer des règles aux opérateurs télécoms.

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