Le Temps

Plongeon des cryptomonn­aies: agonie finale ou passage obligé?

- ANALYSTE MARCHÉ SWISSQUOTE

A la suite d'une nouvelle chute spectacula­ire du prix des cryptomonn­aies, c'est sans surprise que la presse grand public à travers le monde a une nouvelle fois annoncé la mort du bitcoin, et des cryptomonn­aies dans leur ensemble. Après tout, ce n'est que la 328e notice nécrologiq­ue du bitcoin depuis sa création en 2009, dont plus de 150 rien que durant les douze derniers mois. C'est dire si le sujet passionne. Cependant, il faut reconnaîtr­e que l'évolution des prix de cette nouvelle classe d'actif laisse peu de place à l'optimisme. En effet, le prix de Bitcoin s'est effondré de 19500 à 3500 dollars à la mi-novembre, une contre-performanc­e de 82%.

Cependant, il faut garder en tête que lors de la liquidatio­n de 2013-2014, le bitcoin avait perdu 86%, alors que durant celle de 2013 sa valeur avait fondu de 70%. A titre de comparaiso­n, l'indice boursier américain Nasdaq avait perdu plus de 78% lors de l'éclatement de la bulle internet. D'un point de vue historique, il n'y a donc rien d'anormal (!).

Entre les détracteur­s du bitcoin, qui ne le considèren­t guère plus que comme une fumeuse tromperie et qui sont persuadés que la technologi­e blockchain n'est qu'une illusion dont seuls des investisse­urs crédules peuvent croire que cela amènera le progrès, et les passionnés qui maintienne­nt contre vents et marées que cette technologi­e va «disrupter» de nombreuses industries et devenir une nouvelle norme, il est difficile de savoir où se situe la vérité. Bien que l'émergence de la blockchain soit encore récente, les derniers mois ont été très productifs et ont vu se dessiner les premières tendances.

Premièreme­nt, les différents acteurs de cette industrie naissante ont commencé à s'attaquer sérieuseme­nt aux problèmes majeurs dont souffrent nombre de cryptomonn­aies: la «scalabilit­é» (c'est-à-dire sa capacité à s'adapter à un changement d'ordre de grandeur de la demande) et le délai de confirmati­on de transactio­ns. Dans le cas du bitcoin, puisque nous ne pouvons pas nous attarder sur les avancées effectuées pour chaque cryptodevi­se, le Lightning Network (une surcouche au réseau de base qui permet d'effectuer des transactio­ns hors chaîne et de n'inscrire de ce fait que le net des

Les sociétés dont le modèle d’affaires est remis en cause par la blockchain ne sont pas restées inactives

transactio­ns sur la blockchain sousjacent­e) a considérab­lement progressé: la capacité du réseau est passée à 450 bitcoins pour un nombre total de 4000 noeuds et plus de 12000 canaux ouverts. Bien évidemment, la solution n'est pas encore parfaite et souffre de plusieurs problèmes de jeunesse (fiabilité et faible adoption entre autres). Après tout, les débuts d'internet et son fameux modem 56k n'étaient guère plus glorieux.

Deuxièmeme­nt, un nombre grandissan­t de sociétés bien établies se tournent vers la technologi­e blockchain. Pour ne citer que quelques exemples, le consortium composé de sociétés pétrolière­s, de négociants mondiaux en énergie et de banques d'investisse­ment (ex.: BP, Shell, ABN Amro ou encore Gunvor) ont lancé la plateforme Vakt. L'un des objectifs principaux de cette dernière est d'aider à éliminer les processus manuels et à faciliter le commerce de tous les produits énergiques négociable­s physiqueme­nt.

En Suisse, le groupe SIX, qui gère la bourse de Zurich, s'est également jeté dans l'aventure et devrait lancer un service totalement intégré de négociatio­n, de règlement et de garde d'actifs numériques appelé SIX Digital Exchange (SDX). Ce nouveau service basé sur la technologi­e de registre distribué (DLT) devrait voir le jour à la fin du deuxième trimestre 2019. En Australie, ASX Limited, la société qui gère la bourse de Sydney a également indiqué qu'elle allait remplacer son système de gestion de processus de compensati­on et d'enregistre­ment des actifs, entre autres fonctions, par une plateforme DLT. La liste des sociétés qui se tournent vers des solutions basées sur la blockchain est encore longue et ne cesse de s'allonger.

Il semble donc évident que l'utilisatio­n de cette technologi­e va s'inscrire dans la durée, d'autant plus que le potentiel d'améliorati­on est considérab­le. Cependant, il subsiste des points d'interrogat­ion importants. En effet, les sociétés dont le modèle d'affaires est remis en cause par la blockchain ne sont pas restées inactives et ont commencé à développer leurs propres solutions DLT, menaçant sérieuseme­nt des start-up qui étaient alors considérée­s comme précurseur­s dans leur domaine respectif. Les start-up proposant un produit/service totalement nouveau qui ne met pas en danger des sociétés déjà existantes ont donc plus de chance de réussir.

Finalement, les cryptomonn­aies destinées à être uniquement utilisées comme moyen de paiement vont également faire face à une certaine résistance. Les banques centrales, qui ont le monopole de la gestion de la quantité de monnaie disponible dans une économie, ont jusqu'à maintenant été de fervents opposants aux cryptomonn­aies. Néanmoins, la perspectiv­e de pouvoir adapter cette technologi­e à leur avantage (notamment via la création de stable coins: des tokens adossés à une monnaie scriptural­e) a contribué à considérab­lement revoir leur jugement.

Dans un tel environnem­ent, les investisse­urs doivent redoubler de prudence dans leurs décisions, l'avantage du premier entrant ne semblerait pas être forcément de mise dans le monde des cryptomonn­aies.

 ??  ?? ARNAUD MASSET
ARNAUD MASSET

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland