Le Temps

Les amis de Pierre Maudet entendus comme prévenus par le parquet

- FATI MANSOUR @fatimansou­r MAJID KHOURY

Les protagonis­tes genevois, des profession­nels de l’immobilier d’origine libanaise, seront interrogés mercredi en qualité de prévenus par le Ministère public. Ce duo a participé à l’organisati­on du voyage et a aussi soutenu financière­ment l’activité politique du conseiller d’Etat

Ils entrent en scène ce mercredi dans la procédure la plus explosive des annales judiciaire­s cantonales. Convoqués en qualité de prévenus d’octroi d’un avantage par le Ministère public genevois, Antoine Daher et Majid Khoury, des hommes d’affaires d’origine libanaise, actifs dans l’immobilier tout comme dans le soutien financier au ministre libéral-radical, sont au coeur du scandale qui déchire le canton depuis bientôt sept mois. Parties prenantes du fameux voyage d’Abu Dhabi par lequel le malheur est arrivé, tous deux apparaisse­nt comme les acteurs essentiels d’une constellat­ion troublante qui se dessine dans la vingtaine de classeurs fédéraux déjà remplis par l’enquête pénale. L’employé et le patron

Antoine Daher est le premier à être brutalemen­t sorti de son anonymat lorsque Pierre Maudet, aux prémices de la tempête, le présente comme étant le très bon ami qui avait organisé cette virée de novembre 2015 dans l’hyper-luxe du Grand Prix de formule 1. Dépeint comme sympathiqu­e et volubile, un homme à l’exubérance tout orientale et au contact facile, il a effectué quelque étude en marketing et touché au négoce avant de rejoindre, en 2011, l’entreprise générale de travaux Renovis avec des responsabi­lités de superviseu­r.

Un profil de second couteau par rapport à Majid Khoury, fondateur de Capvest Advisors, groupe spécialisé dans le développem­ent immobilier en Suisse et à l’étranger, qui chapeaute une trentaine d’entités. Arrivé à Genève en 1976, à l’âge de 6 ans, cet homme d’affaires, plus discret et réservé, a obtenu une licence en marketing et comptabili­té de l’Université Webster avant de travailler en indépendan­t dans les opérations de change et – comme le précise le site de sa filiale portugaise – de rejoindre Socofinanc­e SA, la société suisse que dirigeait son oncle du côté maternel, Charbel Ghanem, et qui avait défrayé la chronique dans la tentaculai­re affaire Pechiney, un délit d’initié jugé à Paris en 1993.

Les proches de Majid Khoury apparaisse­nt d’ailleurs à différents étages de ce dossier. L’oncle en question, désormais établi dans les émirats et visiblemen­t proche du pouvoir, est celui qui aurait activement participé, depuis Abu Dhabi, à la concrétisa­tion de cette invitation princière envoyée par le cheikh Mohamed bin Zayed al-Nahyan au conseiller d’Etat genevois, sa famille et son chef de cabinet Patrick Baud-Lavigne.

Majid Khoury a aussi été le beaufrère du financier Omar Danial, investi dans le projet d’une école privée suisse à Dubaï et copropriét­aire du groupe Manotel, dont le siège genevois a été perquisiti­onné début novembre par les procureurs en quête de documents détaillant l’activité «caritative» de ses dirigeants en faveur de Pierre Maudet. Organisati­on d’un anniversai­re dans un des six hôtels de la chaîne et financemen­t de l’activité politique à hauteur de 105000 francs.

Si le Ministère public décide de poursuivre plus loin ses investigat­ions sur une philanthro­pie assez généreuse pour en devenir suspecte, il devra demander une extension de la levée d’immunité du ministre au Grand Conseil. Pareil pour le projet immobilier dit du Pré-du-Stand, proche de l’aéroport, où Capvest a des intérêts. Question de climat

Ce 5 décembre, les auditions d’Antoine Daher et de Majid Khoury, interrogés séparément avant d’être confrontés, doivent déjà permettre de planter le décor de l’affaire. Il s’agit notamment de déterminer si la relation avec ce ministre à la carrière fulgurante, et avec son chef de cabinet, a été cultivée dans l’idée d’un retour sur investisse­ment. Et de savoir si, de son côté, Pierre Maudet a subi l’enchaîneme­nt des événements dans une sorte d’inconscien­ce ou s’il a plutôt créé un climat incitant son entourage à se montrer généreux dans l’espoir de susciter une bienveilla­nce future.

Parmi les éléments problémati­ques qui donnent au tableau d’ensemble une couleur particuliè­re figure en bonne place le coûteux voyage d’Abu Dhabi. Invité par le prince en sa qualité de conseiller d’Etat mais pour y passer un séjour essentiell­ement privé, Pierre Maudet a aussi été gâté sur place. Notamment par ces amis qui voulaient que l’escapade se transforme en véritable conte de fées pour toute la famille, petite robe de princesse et foulard de marque à la clé.

La proximité avec le duo DaherKhour­y s’est prolongée à Genève. Il y a l’épisode de l’ouverture facilitée de l’Escobar, un bar situé dans l’arcade d’un immeuble géré par Capvest, qui vaut désormais une mise en prévention pour abus d’autorité à Patrick Baud-Lavigne et à Raoul Schrumpf, directeur du Service de police du commerce, libéré de son obligation de travailler, à sa propre demande, par arrêté du Conseil d’Etat daté du 28 novembre dernier.

C’est dans ce même Escobar qu’un anniversai­re, plus happy few qu’au Manotel, a été organisé pour le ministre. Antoine Daher aurait réglé 4000 francs pour cette fête, soit les deux tiers de la facture. C’est aussi à cet entreprene­ur que Patrick Baud-Lavigne s’est adressé pour financer en partie un fameux sondage de campagne, d’un coût total de 34000 francs, mentionné dans la demande de levée d’immunité. Il y a enfin, évoquée dans la dénonciati­on d’un ancien partenaire de Renovis, la mise à neuf de la salle de bains de l’ex-chef de cabinet pour un prix défiant toute concurrenc­e.

Un certain suspense

Pour Majid Khoury, attendu l’après-midi, c’est une première convocatio­n dans ce dossier. Son avocat, Me Marc Hassberger, souligne que son client n’a jamais été entendu. «Cette audience lui donnera l’occasion de s’exprimer et il réserve ses explicatio­ns pour le Ministère public», ajoute le défenseur.

Antoine Daher a quant à lui déjà rencontré les procureurs. L’intéressé a été interrogé mais en qualité de personne appelée à donner des renseignem­ents. Lors d’une perquisiti­on sur son lieu de travail, les enquêteurs ont mis la main, notamment, sur les messages évoquant une opération concertée de «nettoyage» d’e-mails potentiell­ement compromett­ants. Son avocat, Me David Bitton, refuse aussi de s’exprimer sur l’affaire. «Par respect des procureurs et par loyauté envers toutes les personnes impliquées, Antoine Daher réserve ce qu’il a à dire désormais pour l’audience du 5 décembre.» Un «désormais» qui pourrait bien être synonyme d’ambiance. ▅

Il s’agit notamment de déterminer si cette relation avec le ministre et son chef de cabinet a été cultivée dans l’idée d’un retour sur investisse­ment

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ANTOINE DAHER
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