Le Temps

La stratégie du CICR remise en cause au Conseil national

La conseillèr­e nationale Lisa Mazzone (GE) questionne le Conseil fédéral sur la double appartenan­ce du président du CICR, Peter Maurer, également membre du Conseil de fondation du WEF. Elle s’interroge aussi sur les partenaria­ts à risque

- STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

Le CICR vit-il une crise d'éthique, comme le laisse entendre un récent article du Monde, et entretient-il des liaisons dangereuse­s avec le secteur privé, comme s'interrogea­it Le Temps le printemps dernier? Sans y apporter de réponse dans l'immédiat, les milieux politiques commencent à s'y intéresser.

Jeudi, la Genevoise Lisa Mazzone va déposer une interpella­tion au Conseil national. Le texte rédigé par la conseillèr­e nationale verte est explicite: «Des voix de plus en plus nombreuses s'inquiètent de l'évolution du Comité internatio­nal de la Croix-Rouge.» L'élue questionne l'appartenan­ce de son président, Peter Maurer, au Conseil de fondation du Forum économique mondial à partir de 2014 ainsi que les partenaria­ts privilégié­s conclus «avec divers acteurs controvers­és de l'économie privée tels que LafargeHol­cim ou de médias étatiques tels que l'agence chinoise de presse Xinhua (Chine nouvelle)». Risque sécuritair­e

Quand le WEF publie un rapport intitulé «Trois façons de vaincre l'Etat islamique», certains commencent à s'interroger, sachant que des délégués du CICR dialoguent au même moment avec le groupe djihadiste. Ils y voient un risque sécuritair­e pour les délégués sur le terrain. Au siège, un collaborat­eur l'admet entre les lignes: «Il est vrai que, lorsque le WEF a parlé de la manière de vaincre les djihadiste­s, nous avons eu deux ou trois gros coups de stress.» Pour ce qui est du partenaria­t avec l'agence Chine nouvelle conclu par Peter Maurer à Pékin en septembre 2015, les voix les plus critiques au sein du CICR et à l'extérieur se demandent s'il est judicieux. Xinhua est la voix du pouvoir chinois, et le CICR n'a toujours pas accès aux prisonnier­s politiques chinois et aux Ouïgours détenus en masse dans les prisons du Xinjiang.

Lisa Mazzone le martèle: «J'estime beaucoup le travail du CICR. Je souhaite toutefois poser des questions au Conseil fédéral pour vérifier la compatibil­ité des partenaria­ts entre le CICR et certains acteurs économique­s avec les principes fondateurs de l'organisati­on.» Le texte de l'interpella­tion relève qu'avec des «rapprochem­ents problémati­ques, le CICR met en danger sa crédibilit­é d'institutio­n neutre, impartiale et indépendan­te. Cela induit également un risque majeur pour la sécurité des délégués du CICR sur le terrain.»

L’indépendan­ce en question

La conseillèr­e nationale rappelle que la Confédérat­ion finance à hauteur de 150 millions par an l'institutio­n genevoise et est redevable aux citoyens suisses de l'utilisatio­n conforme des contributi­ons de l'Etat. Elle se demande: «Le budget du CICR s'élevant désormais à près de 2 milliards de francs, quel est l'organe de surveillan­ce indépendan­t qui non seulement veille à sa bonne gestion financière mais assure également qu'il respecte son mandat?»

Vice-président du Parti libéral-radical genevois, Rolin Wavre refuse de croire que le CICR est en train de perdre son âme. Mais il a lui aussi quelques doutes. La fonction de président du CICR, dit-il, est incompatib­le avec un siège au sein du Conseil de fondation du WEF. Il s'inquiète aussi des informatio­ns que pourrait fournir le CICR à des sociétés souhaitant percer sur tel ou tel marché, comme au Nigeria quand il avait conclu un partenaria­t avec LafargeHol­cim, aujourd'hui caduc. «L'action un peu solitaire de Peter Maurer va au-delà des limites», souligne-t-il. Le PLR genevois estime que s'associer aussi étroitemen­t avec de grandes multinatio­nales est un pari risqué. Mais cet ex-délégué du CICR, qui fut huit ans durant chef de délégation, espère que ce type d'interpella­tion «ne donnera pas des armes à ceux qui financent le CICR» pour réduire leurs contributi­ons. Le CICR étant parfois accusé d'en faire trop, de devenir une «ONU bis» en faisant aussi du développem­ent, Rolin Wavre note: «Il est juste de ne pas se contenter des secours d'urgence. L'humanitair­e doit désormais aller au-delà, assurer un continuum de développem­ent. Mais ce n'est pas au CICR de le faire.»

Informé de l'interpella­tion, le directeur du CICR, Yves Daccord, réagit: «Il est important qu'un tel débat ait lieu sur ces questions complexes. Dans ce monde qui change, il est de notre devoir d'entrer en contact et d'établir des relations solides avec tous les acteurs qui ont de l'influence, y compris le secteur privé. Et, comme avec tout autre acteur, s'engager avec le secteur privé c'est explorer, découvrir. Bien entendu, nous n'avons pas toutes les réponses, ni toutes les solutions. Ce qui est fondamenta­l c'est que ce débat soit libre de tout a priori, de tout préjugé sur ce que notre relation avec le secteur privé peut engendrer de bon ou de mauvais.»

«Avec des rapprochem­ents problémati­ques, le CICR met en danger sa crédibilit­é d’institutio­n neutre» TEXTE DE L’INTERPELLA­TION

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