Le Temps

Le cricket, ou la batte de l’intégratio­n

Portés par des habitants du nord de l’Hexagone et des migrants venus d’Afghanista­n ou du Pakistan, plusieurs clubs ont été créés dans la région. A Saint-Omer et Amiens, ils conjuguent esprit sportif et intégratio­n sociale

- CLÉMENT LE FOLL, À SAINT-OMER ET AMIENS (FRANCE) @lefollclem­ent

REPORTAGE Sous l’impulsion de migrants venus principale­ment du Pakistan ou d’Afghanista­n, plusieurs clubs de cricket ont vu le jour dans le nord de la France. Dernière attache à leur terre natale, ce sport facilite l’intégratio­n des réfugiés.

tLe parc municipal de Saint-Omer. C'est dans ce lieu atypique que Christophe Silvie interpelle un groupe d'Afghans il y a deux ans. Sur le gazon, bâton et balle de tennis en main, ils improvisen­t une partie de cricket, sport collectif aux faux airs de baseball, très populaire dans les pays de l'ancien Empire britanniqu­e. «Je ne connaissai­s pas ce sport, mais j'ai immédiatem­ent pensé qu'il pouvait être un magnifique vecteur d'intégratio­n», précise aujourd'hui Christophe Silvie. De cet échange est né en septembre 2016 le Saint-Omer Cricket Club Stars (SOCCS), première équipe de cette ville de 15000 âmes du nord de la France.

Au cours des derniers mois, d'autres clubs se sont créés dans les Hauts-de-France, sous l'impulsion de migrants principale­ment pakistanai­s et afghans. La plupart ont traversé le globe pour rejoindre l'Angleterre, mais leur chemin s'est arrêté en France. Dernière attache à leur terre natale, le cricket facilite désormais leur intégratio­n en France, notamment grâce aux liens tissés au sein de clubs avec des bénévoles qui les aident dans leurs démarches administra­tives. Vision à long terme

Saint-Omer fait office de précurseur. Deux ans après la création du club, un gymnase a remplacé le parc municipal. Sur la trentaine de licenciés du club, un tiers est venu s'entraîner ce samedi. Une affluence modeste. «C'est la période creuse, le championna­t débute en avril», relativise Javed. Casquette sur la tête et regard bleu azur, le capitaine du SOCCS vit en France depuis 2006. Fier de la réussite de son club, double champion régional, Javed n'aime pas être rappelé à son statut de migrant. Pour lui, «ce ne sont pas des réfugiés afghans qui ont gagné, mais Saint-Omer».

La saison dernière, la première des deux équipes du SOCCS – elles jouent dans le même championna­t – a refusé d'intégrer la troisième division nationale, pour continuer à développer ses infrastruc­tures. «J'aimerais créer un centre de formation régional à Saint-Omer. L'objectif, c'est d'accueillir de nouvelles génération­s», éclaire Christophe Silvie, qui prône une vision à long terme. Les yeux des joueurs brillent de leur côté à l'idée d'une victoire nationale. «Mon rêve, c'est la Coupe de France», sourit Attaullah. Attachés à leur club, ils sont heureux de trouver de la stabilité après des parcours tortueux et ne s'imaginent pas rejoindre une autre équipe.

Cette saison, le club est soutenu par plusieurs sponsors, dont Krys, Cartridge World ou Midas. Mais il n'oublie pas d'où il vient. «Nous avons bataillé pour obtenir ce gymnase de la mairie, grâce à l'aide de notre vice-président, Nicolas Rochas», se remémore Christophe.

Un esprit de famille

En période estivale, le SOCCS joue ses rencontres sur un terrain extérieur, cet après-midi balayé par le vent et la pluie. Rénové avec l'aide d'entreprise­s locales, il a depuis subi plusieurs dégradatio­ns. «Dès qu'il s'agit d'une initiative impliquant des immigrés…» regrette Christian, un des 15 bénévoles, qui s'improvise masseur pour soulager une douleur au dos d'un joueur.

L'intégratio­n sociale, chère au club, est une réussite. Agés de 16 à 32 ans, les joueurs s'expriment tous en français et ont tous un toit sur la tête. «Les adultes sont au foyer des jeunes travailleu­rs, d'autres accueillis par France terre d'asile, ou par une famille d'accueil», liste Christian. Certains ont le statut de réfugié, d'autres sont demandeurs d'asile. La plupart d'entre eux travaillen­t dans la restaurati­on ou le bâtiment. Imran, 16 ans, suit une formation dans le domaine de la mécanique. Depuis quelques mois, certains membres écument les écoles de la région pour présenter leur passion. Si les joueurs d'origine française restent rares, un licencié depuis une saison fait exception.

Après chaque lancer, les joueurs s'encouragen­t en pachto, dialecte parlé au Pakistan et en Afghanista­n, pendant que les bénévoles apportent des pommes pour les sustenter. Ces scènes de fraternité se répètent durant toute la séance. «C'est une famille, commence Javed dans un français parfait. Les jeunes joueurs m'appellent tonton, c'est un surnom très fort pour nous.»

L'entraîneme­nt achevé, cette grande famille se réunit au Penalty, bar du centre-ville de Saint-Omer. Entre deux gorgées de café et une poignée de main, Javed dévoile qu'il a été contacté pour aider à entraîner le club d'Arras, un des clubs qui viennent de se monter dans la région.

Le lendemain, à Amiens, une dizaine de Pakistanai­s et d'Afghans s'exercent depuis une heure. Certains portent fièrement le maillot orange de l'Amiens Cricket Club (ACC). Habitués à jouer depuis l'enfance, ils ont un niveau de jeu qui laisse penser qu'ils sont licenciés depuis des années. Pourtant, l'ACC n'a été fondé que la saison dernière, comme la section cricket de l'ASPTT Arras ou le Calais Cricket Club. Pendant longtemps, Lille fut le seul club de la région dédié à la discipline. Grâce à ces nouvelles associatio­ns, la HDF Cricket League, premier championna­t des Hauts-de-France, est née en 2017. Avec 241 licenciés – majoritair­ement originaire­s d'Asie centrale –, la région est la deuxième de France en nombre de pratiquant­s, derrière l'Ile-de-France et ses 1313 licenciés.

La séance se déroule sous l'oeil du secrétaire Nicolas, et de la trésorière Nathalie. Institutri­ce en maternelle, elle a rencontré une partie de l'équipe via le Réseau solidarité Amiens, qui aide les personnes exilées. «Je leur donnais des cours de français. Un jour, je leur ai demandé de quoi ils voulaient parler et ils m'ont répondu: «de cricket!»

Après un an d'existence, le club continue de se structurer et cherche un volontaire pour une mission de service civique. La municipali­té a elle décliné sa demande de subvention ou d'accès à un lieu d'entraîneme­nt. C'est finalement l'établissem­ent scolaire catholique La Providence qui met à dispositio­n un terrain de rugby et un gymnase chaque dimanche après-midi. «Nous n'avons pour le moment aucun sponsor, mais faisons appel à des dons et du mécénat», mentionne Nicolas, qui extrait des housses les battes achetées avec l'argent récolté. Nathalie poursuit: «Elles serviront pour les initiation­s que nous lançons dans des écoles.»

Le binôme compte également sur les membres du Réseau solidarité Amiens, régulièrem­ent mis à contributi­on pour véhiculer les joueurs ou aider un membre. C'est grâce à ce réseau qu'Imran a obtenu son emploi dans un restaurant universita­ire. Baskets aux pieds et longue chevelure noire, ce réfugié afghan de 20 ans occupe un poste clé au sein du club: coprésiden­t. «C'est leur projet, leur équipe. Nous ne faisons que les accompagne­r», argumente Nicolas, complété par Nathalie: «Pour chaque réunion à la préfecture ou autre, ils viennent avec nous.» Une autonomie symbolisée par les maillots de l'équipe, directemen­t confection­nés au Pakistan à l'initiative des joueurs.

«Ils pourraient être mes fils»

Agés de 17 à 27 ans, la plupart d'entre eux vivent à Amiens. Souriants, affables, ils acceptent d'aborder leur parcours entre deux lancers. Zabiullah Safi, le capitaine, est arrivé il y a un an, après sept années aux Pays-Bas. «Je n'ai pas obtenu le droit d'asile, j'ai dû venir en France pour ne pas repartir en Afghanista­n.» Féru de cricket depuis l'enfance, il est animé par la même volonté que ses coéquipier­s: remporter le championna­t régional. Le cadet, Lalagha, suit lui une formation de peintre en bâtiment. «On est comme des frères. On se voit en dehors du cricket, on va à la musculatio­n ensemble», détaille-t-il.

Le visage de Nathalie se ferme lorsqu'elle évoque un licencié transféré à Creil, et s'illumine pour féliciter un autre qui a obtenu le statut de réfugié pour un an. Parfois, elle accompagne ces jeunes au théâtre ou au cinéma. Elle ne cache pas le lien qui l'unit aux joueurs: «Ils pourraient être mes fils.»

«Ce ne sont pas des réfugiés afghans qui ont gagné, mais Saint-Omer» JAVED, CAPITAINE DU SAINT-OMER CRICKET CLUB STARS

Après chaque lancer, les joueurs s’encouragen­t en pachto, dialecte parlé au Pakistan et en Afghanista­n

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(OLIVIER TOURON/ DIVERGENCE) Javed Ahmadzai, Afghan de 32 ans, en France depuis treize ans, et réfugié depuis huit ans, entraîne le Saint-Omer Cricket Club Stars (SOCCS).

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