Le Temps

Agressions et rites d’initiation

- MARIE-PIERRE GENECAND

Dans la nuit de vendredi à samedi, au Jardin anglais, à Genève, trois jeunes gens se sont fait agresser par un groupe de six ou sept personnes. Sans raison. Alors qu’ils discutaien­t sur un banc, l’un d’eux a reçu un coup de bouteille sur la tête et, pendant qu’il fuyait avec un de ses amis, le troisième s’est fait ruer de coups. Super-soirée. Les deux blessés ont été soignés aux HUG et leurs jours ne sont pas en danger, rapporte 20 minutes, mais cette agression laisse sans voix. Et rappelle un autre assaut, gratuit lui aussi, qui a entraîné des séquelles autrement plus graves et suscité un total désarroi.

C’était en janvier dernier, dans le paisible quartier de Saint-Jean. Au petit matin du 7 janvier, cinq individus dont trois étaient mineurs ont tabassé deux trentenair­es. Coups de batte, de casque, de poing et de pied à la tête façon penalty, la charge relevait du commando et aurait pu tuer les victimes. De fait, un des deux hommes est alité en permanence et n’a plus sa capacité de discerneme­nt, tandis que l’autre a perdu une grande partie de ses aptitudes mentales et physiques. Les cinq assaillant­s, qui ont été arrêtés et vont être jugés, avaient déjà mené plusieurs agressions.

Alors, évidemment, on se demande pourquoi. Pourquoi des jeunes sortent la nuit, armés ou non, avec l’objectif de faire un carton? Qu’est-ce qui les anime et les légitime à leurs propres yeux? Bien sûr, la violence n’est jamais une réponse. Mais quand le ton monte entre deux camps et que les coups pleuvent, on arrive à tirer le fil logique de cette conclusion. Là, l’arbitraire fait sa loi et laisse pantois.

Parmi les raisons de ces assauts aveugles, on invoque souvent la frustratio­n – sociale, économique, etc. Ou la banalisati­on de la violence dans les jeux vidéo, voire l’influence du gangsta rap. Mais l’artiste Yann Marussich suggère une autre piste plus insolite. Dans un entretien qu’il a donné au Temps avant de réaliser une performanc­e dans nos locaux, il observe que «le rapport à la douleur a été totalement perverti depuis que la médecine occidental­e a décidé de l’éradiquer». Or, poursuit-il, la douleur était une initiation. «Dans l’éducation, on a supprimé tous les rituels initiatiqu­es qui incluaient une épreuve corporelle et l’on s’étonne ensuite que la violence ressorte de manière anarchique dès qu’elle en a l’occasion.»

Je suis plutôt douillette et heureuse que la société soit friendly. Mais, face à ces actes sans explicatio­n, l’analyse du performer genevois retient toute mon attention.

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