Le Temps

Les «gilets jaunes» persistent

Les concession­s n’ont pas apaisé les «gilets jaunes» de Pringy, près d’Annecy. Ils réclament la démission d’Emmanuel Macron, une hausse des salaires et ils rêvent de révolution

- CHRISTIAN LECOMTE, ANNECY @chrislecdz­5

Depuis le 17 novembre, premier jour de la mobilisati­on des «gilets jaunes», ils sont installés en permanence sur le rond-point de Pringy, tout près d’Annecy. La barrière de péage de l’autoroute A41, en direction de Chambéry et de Genève, est à 100 mètres de leur campement. Frédéric, porte-parole malgré lui, dit: «Quand ça nous prend, on lève la barrière et on dit: circulez, y’a rien à payer.»

Ce mardi, la vingtaine de personnes réunie autour d’un feu oublie un instant le péage et commente la série d’annonces du premier ministre, Edouard Philippe, entre autres la suspension pour six mois de la hausse de la taxe sur les carburants prévue le 1er janvier, première revendicat­ion des manifestan­ts. «On ne veut pas un plan de six mois mais un projet pour la vie. Que d’abord Macron démissionn­e, ensuite on verra plus clair», martèle Frédéric.

Il est chauffeur-livreur, gagne 1900 euros par mois, ce qui lui fait dire qu’il n’est pas le plus à plaindre, s’est mobilisé «parce que cela fait 20 ans que je ne dis rien et que le grand capital me donne des coups de marteau sur la tête». Il se dit pacifiste mais condamne à peine les émeutes de samedi dernier à Paris, «sauf les dégradatio­ns à l’Arc de triomphe». Il enchaîne: «Il faut faire la révolution, en finir avec la Ve République et le système. Il faut que le peuple prenne le pouvoir.» Il lit sur le tract tendu aux automobili­stes: «Quand le gouverneme­nt viole les droits du peuple, l’insurrecti­on est le plus sacré des devoirs, c’est l’article 35 de la Déclaratio­n des droits de l’homme et du citoyen.»

«Des référendum­s d’initiative citoyenne»

Que faudrait-il immédiatem­ent pour que le mouvement cesse et que le dialogue s’instaure? Frédéric, plus modéré tout à coup, répond: «Nous voulons une augmentati­on des salaires, des retraites et des minima sociaux, le retour de l’impôt sur les fortunes, que la France redevienne souveraine et non plus aux ordres de Bruxelles et qu’une élite ne décide plus à notre place, nous souhaitons des référendum­s d’initiative citoyenne, comme en Suisse.»

Johann travaille à Genève dans la sécurité, pour un grand groupe: «On rigole quand les Suisses votent pour ou contre les vaches à cornes, mais eux ont tout compris, c’est le peuple qui au final tranche, pas un président ou un premier ministre qui imposent des réformes qui appauvriss­ent les retraités.»

Avance une demoiselle, 20 ans à peine. C’est son premier jour avec ceux de Pringy. Elle ne porte pas de gilet jaune parce qu’elle ne sait pas où en trouver, est venue alors qu’elle est en pause. «Je travaille dans une maison de retraite à Meythet, je ne suis pas encore diplômée mais je travaille comme une vraie aide-soignante parce qu’on manque de personnel.» Elle poursuit: «Je manifeste avant tout pour nos petits vieux, parce que beaucoup ont travaillé toute leur vie et ce sont leurs enfants qui doivent payer la pension, ils ont honte de cela.» Dialogue de sourds

Trois députés sont passés lundi voir les «gilets jaunes» de Pringy. Parmi eux, une élue de La République en marche, dont tout le monde ici a oublié le nom. Ce fut un dialogue de sourds, de l’avis de tous. Quelqu’un raconte: «Elle a expliqué qu’elle n’était pas une privilégié­e, qu’elle gagnait 5000 euros par mois, on lui a dit qu’elle gagnerait plus si Macron ne construisa­it pas un nouveau porte-avions ou une piscine dans une des résidences de la République.»

Pierre Lambert, le préfet de Haute-Savoie, s’est dit prêt à rencontrer les «gilets jaunes» samedi prochain. Refus de ceux de Pringy: «Tous les matins, depuis quinze jours, nous organisons un concert de casseroles sous ses fenêtres, il n’avait qu’à nous ouvrir ses fenêtres.» Mardi midi, des Témoins de Jéhovah ont offert une boîte de chocolats aux campeurs du rond-point de Pringy. «Ce mouvement brasse large», se réjouit Frédéric.

«Quand le gouverneme­nt viole les droits du peuple, l’insurrecti­on est le plus sacré des devoirs» FRÉDÉRIC, CHAUFFEUR-LIVREUR

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(PASCAL GUYOT/AFP) Des «gilets jaunes» bloquant l’accès au dépôt pétrolier de Frontignan dans le sud de la France le lundi 3 décembre 2018.

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