Les hommes derrière la caravane
Plusieurs activistes et ONG encadrent les ressortissants d’Amérique centrale qui se déplacent en groupes vers les Etats-Unis. Mais ce sont bien l’insécurité et la misère dans leurs pays qui les poussent à partir
Bartolo Fuentes a été arrêté le 16 octobre au Guatemala et rapatrié au Honduras. Son tort? Il a été accusé d'être à l'origine de la grande caravane de migrants qui vient de finir sa route dans la ville mexicaine de Tijuana, face au «mur» américain. Journaliste, activiste et ex-député hondurien, cet homme de 54 ans en serait la tête pensante. Critiqué, il nie avoir ces «super-pouvoirs», affirmant s'être contenté d'avoir lancé des appels sur les réseaux sociaux.
Aujourd'hui, des migrants qui ont vécu la faim, le froid et la peur pendant des semaines de marche disent avoir été instrumentalisés par les «leaders» de la caravane. Certains pensaient pouvoir entrer facilement aux EtatsUnis et déchantent. Voilà qui repose la question du but de la caravane et aussi du choix de Tijuana, une des régions frontalières les plus sécurisées, comme destination finale.
Un flyer sur Facebook
Ex-député du parti de gauche Libertad y Refundación devenu animateur d'une émission de radio intitulée Sans frontières, Bartolo Fuentes a posté le 4 octobre un flyer sur Facebook évoquant une «Caminata del Migrante» qui quitterait la ville hondurienne de San Pedro Sula huit jours plus tard. «Nous ne partons pas parce que nous le voulons, c'est la violence et la pauvreté qui nous expulsent», peut-on y lire. L'activiste précise qu'il accompagnera le groupe. Il avait lui-même trouvé refuge au Mexique à la fin des années 1980, après avoir reçu des menaces pour avoir dénoncé les Contras nicaraguayens qui utilisaient le Honduras comme base arrière.
Au départ, seules environ 200 personnes étaient prêtes à partir ensemble. Puis, ça a été l'«avalanche», a souligné Bartolo Fuentes au Daily Beast: une chaîne télévisée hondurienne proche du gouvernement, HCH, a consacré un sujet au projet et affirmé – à tort – que l'activiste paierait tous les coûts liés à la nourriture et aux transports. Pour de nombreuses personnes prêtes à verser entre 5000 et 10000 dollars à des passeurs, c'était l'occasion rêvée de partir sans devoir débourser de telles sommes. Bartolo Fuentes a rapidement reçu des centaines d'appels.
Quatre jours après le départ, il est arrêté, se fait expulser vers son pays, où il se dit menacé. Les autorités veulent le faire passer pour un passeur, un trafiquant d'êtres humains. C'est bien la raison pour laquelle il ne veut pas revendiquer la paternité de cette caravane. Mais il s'implique beaucoup. Fin octobre, il la rejoint à Mexico, où il tient une conférence de presse avec un journaliste qui tourne un documentaire sur la caravane.
Dénoncer les violences
Bartolo Fuentes n'est pas le seul à avoir suivi la caravane de près. Très rapidement, Pueblo sin Fronteras est entrée dans la danse. Cette ONG était derrière les trois précédentes caravanes de migrants, deux parties en 2017 et l'une au printemps dernier. Le 25 mars 2018, un groupe de 700 migrants avait pris la route depuis Tapachula, dans le sud-ouest du Mexique, à la frontière guatémaltèque, s'épaississant en cours de route, avant de finir son parcours à Tijuana, le 29 avril.
Pour les différents «leaders», le but est avant tout de dénoncer les violences qui sévissent en Amérique centrale, dans des pays où les gangs et les cartels terrorisent la population locale. L'effet de nombre garantit une bonne médiatisation et fait réagir les gouvernements concernés. La dernière caravane a été lancée en pleine campagne pour les élections de mi-mandat aux Etats-Unis, et alors que le Mexique se préparait à un changement de président. Le fait qu'elle s'échoue à Tijuana démontre que l'intention première n'était pas de faire passer ces migrants de manière illégale aux Etats-Unis. Donald Trump en a toutefois profité pour faire campagne en agitant le spectre de «l'invasion»: il a accusé les démocrates et le milliardaire George Soros d'être responsables de la situation.
«Agir ensemble au lieu de se fragmenter»
Les passages en force des frontières pour arriver jusqu'au Mexique mettent en danger les migrants et le périple est particulièrement éprouvant pour les nombreux enfants contraints de prendre des risques inconsidérés et de dormir dans des conditions indignes. Les membres de Pueblo sin Fronteras, tous des bénévoles, font aussi régulièrement l'objet de vives critiques. A tel point que l'ONG a dû se fendre d'un communiqué sur son site internet pour dénoncer la «criminalisation de ceux qui accompagnent cet exode».
Elle a aussi lancé un appel à l'unité aux organisations nationales et internationales de défense des droits de l'homme, et à «agir ensemble au lieu de se fragmenter». Car des tensions existent parmi ceux qui viennent en aide aux migrants: tous n'ont pas les mêmes objectifs. Certains se contentent de conseils juridiques, d'autres, armés de mégaphones, organisent des manifestations susceptibles de déraper et encouragent des grèves de la faim. Dans cette galaxie diffuse de «leaders» de la caravane, une poignée de migrants endossent également eux-mêmes ce rôle.
Pueblo sin Fronteras assure ne pas présenter aux migrants une nouvelle vie aux Etats-Unis comme unique option: «Nous fournissons des informations honnêtes sur les possibilités qui existent au Mexique pour ceux qui souffriraient du système d'asile punitif en vigueur aux Etats-Unis, qui systématiquement prive les requérants de liberté, sépare les familles et souvent expulse les personnes vers la mort.» L'ONG rappelle qu'elle fait pression sur les autorités mexicaines, le processus d'asile et la distribution des visas humanitaires étant entachés de nombreuses irrégularités.
Depuis ce week-end, la caravane s'est dispersée à Tijuana. Sur les 6000 migrants évacués du camp de fortune à deux pas du «mur», seuls 2000 se sont finalement installés dans le nouveau refuge mis à disposition, à 10 kilomètres de la frontière américaine. Cinq cents sont restés près du premier camp, dans la rue, sans aide de la ville. Le reste s'est envolé dans la nature. Pour tenter d'entrer aux Etats-Unis, avec ou sans passeurs, de s'établir au Mexique, ou reprendre, résignés, le chemin du retour.
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