Un film Netflix en exclusivité à Genève
Les cinéphiles francophones n’ont qu’un endroit où voir «Roma» sur grand écran: le Cinérama Empire
Roma a remporté le Lion d’or à la dernière Mostra de Venise. Son destin était de filer ensuite dans les tuyaux de son producteur, Netflix, afin que 137 millions d’abonnés puissent le visionner sur leur écran de télévision, d’ordinateur ou de téléphone. Si l’on remercie la société californienne d’avoir donné au réalisateur mexicain les moyens de signer cette oeuvre majeure, on regrette que ces somptueuses images en 70 mm n’aient pas accès au grand écran où est leur place.
Des cinéphiles de bonne volonté parviennent parfois à fléchir la politique online de Netflix. Un actionnaire lui ayant parlé avec enthousiasme de Roma vu à Venise, Jean-Pierre Grey, responsable de la programmation au Cinérama Empire et au Ciné 17 de Genève, se renseigne sur l’éventuelle possibilité d’une sortie en salle. La société se montre intraitable. Après avoir vu le film au Zurich Film Festival, le programmateur revient à la charge. Il contacte la filiale allemande de Netflix et la harcèle. C’est «Nein, nein, nein»…
Nouveaux acteurs
Puis cette position intransigeante s’assouplit. Le film bénéficie de sorties restreintes en Italie, en Allemagne ou encore aux Etats-Unis – où Cuaron a lourdement insisté. Mais pas question d’aller sur les territoires francophones en raison de la chronologie des médias, ce commandement qui, en France, régit strictement l’ordre des diverses exploitations d’une oeuvre cinématographique (salle, DVD, télévision…). A Zurich, dans la foulée de l’Allemagne, le cinéma Riffraff est autorisé à projeter le film. Jean-Pierre Grey décroche finalement un accord. Assorti de conditions drastiques: le Cinérama Empire a l’interdiction de communiquer les chiffres. En revanche il a le droit de montrer Roma dès le 5 décembre, soit neuf jours avant sa diffusion sur Netflix, le 14. Jean-Pierre Grey déplore qu’un film d’une telle ampleur soit destiné aux petits écrans. Car Netflix n’a rien à faire des salles. A l’instar de Cannon Films (Golan-Globus) qui, dans les années 80, suivait la «ligne du fric» en sortant des films d’action à la chaîne, mais finançait soudain Maria’s Lovers de Kontchalovski, le géant américain du streaming a les moyens de s’offrir une danseuse, de jouer la carte du prestige en produisant Cuaron, Bong Joon-ho ou Martin Scorsese dont The Irishman, avec Robert De Niro et Al Pacino, doit sortir l’année prochaine.
En 2017, la polémique a embrasé le Festival de Cannes: faut-il montrer les produits Netflix, comme Okja de Bong Joon-ho, qui ne bénéficieront pas d’une sortie en salle? Le festival a tranché, c’est non. Et Roma est allé à Venise. La position cannoise navre Jean-Pierre Grey: «C’est ridicule! Has been! Le festival a loupé le coche. Cela rappelle le combat des exploitants contre les cassettes VHS! Il faut vivre avec son temps, composer avec les nouveaux acteurs.»