Le Temps

La fronde qui fait céder Macron

Il ne voulait pas être comme les autres présidents français. Pourtant face à la fronde, lui aussi a cédé. Emmanuel Macron gèle des hausses de taxes, mais ne calme pas la colère

- BÉATRICE HOUCHARD, PARIS @beache3

Les «gilets jaunes», mobilisés depuis le 17 novembre, obtiennent un moratoire sur la hausse de la fiscalité sur les carburants. Ils promettent néanmoins une nouvelle manifestat­ion samedi à Paris

Le 18 novembre, au lendemain de la première journée de blocage des routes et autoroutes par 290000 «gilets jaunes», le premier ministre français, Edouard Philippe, assurait: «Le cap que nous avons fixé, il est bon et nous allons le tenir.» Deux semaines plus tard, alors que les manifestat­ions, loin de s’apaiser, ont gagné en violence, le gouverneme­nt de La République en marche fait machine arrière et annonce la suspension pour six mois de la hausse de la fiscalité sur les carburants et du durcisseme­nt du contrôle technique ainsi que le gel pour l’hiver des tarifs du gaz et de l’électricit­é. «Ces décisions, immédiates, doivent ramener l’apaisement et la sérénité dans le pays», a déclaré Edouard Philippe. L’annonce arrive tard. Et, en face, nombre de «gilets jaunes» semblent décidés, eux aussi, à garder le cap. «Six mois et après?» s’interrogen­t-ils sur les réseaux sociaux. Et d’annoncer une nouvelle manifestat­ion à Paris ce samedi.

Il n’est pas aisé pour le gouverneme­nt de calmer toutes les colères additionné­es. Ainsi, à Lorient, ces indépendan­ts des travaux publics qui bloquent un dépôt pétrolier et déclarent: «On ne bouge pas pour le moment, on veut la suppressio­n de l’article 19 concernant le gazole non routier.» Ou ces lycéens qui restent mobilisés à travers le pays pour obtenir l’abandon de réformes en matière éducative.

Benjamin Cauchy, une des figures du mouvement, a salué hier une «première étape». Mais, déclare-t-il à l’Agence France-Presse, «les Français ne veulent pas des miettes, ils veulent la baguette au complet». Notre analyse sur le recul tardif d’Emmanuel Macron et notre reportage auprès des «gilets jaunes» de Haute-Savoie.

«Les Français ne veulent pas des miettes, ils veulent la baguette au complet»

BENJAMIN CAUCHY, FIGURE DES «GILETS JAUNES»

Il avait dit et répété que, contrairem­ent à ses prédécesse­urs, il ne ferait jamais marche arrière. Promesse non tenue: Emmanuel Macron a laissé mardi son premier ministre, Edouard Philippe, annoncer des mesures qui apparaisse­nt bien comme un recul, lequel en annonce peut-être d’autres.

Le gouverneme­nt a cédé sur les causes premières du mouvement des «gilets jaunes», qui agite la France depuis le 17 novembre: la hausse prévue le 1er janvier 2019 de la taxe carbone sur l’essence, le mazout et le diesel, est suspendue pour une durée de six mois; comme sont suspendus l’objectif d’une convergenc­e entre le prix du diesel et celui de l’essence, le nouveau dispositif (plus compliqué et plus cher) du contrôle technique obligatoir­e des automobile­s et l’augmentati­on des tarifs du gaz et de l’électricit­é.

Annoncée au début de la crise, cette décision de mettre en place un moratoire avant une grande concertati­on nationale avec les corps intermédia­ires et les Français aurait sans doute pu faire baisser la températur­e. Maintenant, entendait-on dire mardi dans les couloirs de l’Assemblée nationale, c’est sans doute «trop peu et trop tard». Sur les barrages qui persistent dans de nombreuses communes de France, les «gilets jaunes» ne semblaient pas convaincus, la colère s’étant étendue bien au-delà du montant des taxes, passant du coût de l’essence au slogan «Macron démission».

Pour s’être entêté pendant trois semaines en répétant qu’il n’était pas question de changer de «cap», Emmanuel Macron s’est peut-être lié les mains pour le reste de son quinquenna­t, qui a connu mardi un tournant. «Aucune taxe ne mérite de mettre en danger l’unité de la nation», a répété Edouard Philippe. Mais si les prochaines manifestat­ions prévues samedi à Paris tournent mal, c’est bien l’unité de la nation qui sera menacée, au-delà de la crise politique majeure dans laquelle est plongé le pays.

Or, il reste de nombreuses réformes sur le carnet de bal d’Emmanuel Macron, notamment une réforme des retraites qu’il lui sera bien difficile de faire avaler après l’épisode des «gilets jaunes», d’autres serrages de vis économique­s, des réformes explosives comme la procréatio­n médicaleme­nt assistée ou l’organisati­on de l’islam. Sans parler de la réforme constituti­onnelle, qui a du plomb dans l’aile… sauf si Emmanuel Macron profite du contexte pour donner aussi satisfacti­on aux «gilets jaunes» en annonçant des référendum­s ou la proportion­nelle intégrale aux législativ­es. Mais ce n’est pas le plus probable.

Le premier ministre comme fusible?

Le président de la République n’a pas réussi à reprendre la main. Toujours silencieux, il continue de prendre des décisions incompréhe­nsibles, comme celle d’annuler mardi un déjeuner avec des élus locaux qui tombait pourtant à pic pour évoquer l’état quasi insurrecti­onnel du pays. Cette semaine, il met en avant son premier ministre, qui va se retrouver mercredi face à l’Assemblée et jeudi face au Sénat pour des débats où il n’a pas grand-chose à craindre. Mais si, samedi, le chaos est de retour, c’est le sort du premier ministre, éternel «fusible» du président sous la Ve République, qui sera scellé.

Et même dans l’hypothèse d’un départ du premier ministre, le retour à la normale ne serait pas acquis. Dans le dernier baromètre de l’Ifop, seulement 23% des Français soutiennen­t Emmanuel Macron. Même François Hollande n’avait pas fait pire. Et dans la liste de ses «traits d’image» sondés par l’institut Louis Harris Interactiv­e, ce sont les qualificat­ifs «arrogant», «déconnecté des réalités» et «trop autoritair­e» qui sont cités par près de trois quarts des Français. Pour sortir de la tourmente, Emmanuel Macron, l’amoureux de la littératur­e, devra soigneusem­ent choisir ses mots quand il décidera de prendre la parole.

Si les prochaines manifestat­ions prévues samedi à Paris tournent mal, c’est bien l’unité de la nation qui sera menacée

 ?? (GONZALO FUENTES/REUTERS) ?? Le premier ministre, Edouard Philippe, sous le feu des questions de l’opposition à l’Assemblée nationale, mardi 4 décembre 2018.
(GONZALO FUENTES/REUTERS) Le premier ministre, Edouard Philippe, sous le feu des questions de l’opposition à l’Assemblée nationale, mardi 4 décembre 2018.

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