Samareh Azeredo da Silveira Lajaunias, en quête de molécules «dormantes»
SAMAREH AZEREDO DA SILVEIRA LAJAUNIAS La cofondatrice de Lascco et Combioxin recherche, avec son mari, des molécules «dormantes» dans les laboratoires des universités, pour les transformer en produits. L’une d’entre elles lutte contre les infections grave
«L’inconnu m’a toujours attirée. J’adore la recherche scientifique, comprendre certains mécanismes»
Son rire est généreux. Malgré ses allures de jeune fille sage, Samareh Azeredo da Silveira Lajaunias s’exprime avec une certaine exubérance, surtout lorsqu’elle évoque son travail ou sa famille, ses deux passions. «On me dit souvent que je parle trop fort», avertit-elle.
Son regard s’illumine et elle s’emballe lorsqu’elle évoque les molécules qu’elle recherche avec son mari, Frédéric Lajaunias, dans les laboratoires des universités. Le couple de biologistes a du flair et une bonne capacité d’analyse pour repérer des molécules d’exception que les chercheurs ne veulent pas développer et qui sont délaissées par l’industrie pharma, car trop embryonnaires.
Leur société, Lascco, prend alors une licence d’exploitation et finance le développement de la molécule jusqu’à la réalisation d’une première étude clinique. «Depuis la création de Lascco en 2007, nous avons évalué plus de 100 projets et avons conduit deux d’entre eux à fond», explique la jeune femme, qui a fêté ses 40 ans.
Iranienne par sa mère et Brésilienne par son père, elle reste profondément attachée à ses parents, deux mathématiciens qui se sont rencontrés à l’Université de Genève. «Ils ont toujours été très présents. Et le sont encore aujourd’hui, comme lorsque j’avais 3 ans. Mais tout le monde s’exprime et donne son avis. La consultation est maîtresse aussi bien dans ma famille qu’au travail», dit-elle en ponctuant sa phrase d’un sourire contagieux.
Petite fille «crevante»
Elle dit vouloir être une mère présente pour ses deux enfants, Delara et Bostan. Elle parle avec fierté de son grand frère, physicien, ou de sa petite soeur, avocate, ainsi que de tous ses cousins – même au quatrième degré –, qu’elle considère comme sa proche famille. «J’ai aussi été très influencée par mes grands-parents, empreints de courage, de conviction et d’intégrité», dit-elle, admirative, en contant leur parcours tout en en faisant profiter ses voisins de table d’un hôtel genevois.
Contrairement à ses apparences studieuses, Samareh Azeredo da Silveira Lajaunias n’aimait pas beaucoup l’école. Petite fille très vive, voire «crevante», comme elle dit, elle devait probablement s’y ennuyer. Elle aimait le piano, voulait être journaliste, mais s’est finalement orientée vers des études de biologie à Genève, par curiosité. «L’inconnu m’a toujours attirée. J’adore la recherche scientifique, comprendre certains mécanismes», explique-t-elle. Cette passion la pousse à poursuivre ses études jusqu’à une thèse en neurosciences à l’EFPL, sous la conduite de Patrick Aebischer, qui lui a appris à monter des projets tout en lui insufflant un certain goût de l’indépendance. «Cela a peut-être nourri mon désir d’entrepreneuriat.»
Lors d’un voyage en TGV de retour de Paris, elle évoque avec son mari – qui travaillait alors chez Abbott – la possibilité d’exploiter les innovations «dormantes» des universités. «C’est comme si une flamme s’allumait en nous», se souvient-elle. Le couple fonde Lascco avec l’aide d’experts et de fonds trouvés auprès d’amis et de la famille. La start-up tisse rapidement des liens avec les services de transfert technologique des universités.
Exigence et ténacité
Lascco repère en 2008 une molécule à l’Hôpital universitaire de Zurich, où deux chirurgiens cherchaient une solution face au sepsis, une infection du sang souvent mortelle. Ces derniers avaient identifié un biomarqueur dont la présence augmente fortement lors d’une septicémie. La start-up mène huit études cliniques pour en démontrer l’efficacité. Puis elle rencontre la société Abionic, spécialisée dans les tests rapides de diagnostic. Un accord est conclu avec la PME vaudoise, qui prévoit de commercialiser un test repérant cette infection en cinq minutes à partir d’une goutte de sang. «Nous obtiendrons des royalties dès 2019», affirme Samareh Azeredo da Silveira Lajaunias, qui se dit très exigeante avec les personnes avec qui elle travaille.
Autre découverte: une molécule issue de l’Université de Berne, le CAL02, qui agit comme une éponge qui capture les toxines bactériennes. Le couple de biologistes crée le spin-off Combioxin en 2015 pour mener ce projet le plus loin possible. «Nous avons développé un traitement innovant pour lutter contre les infections graves et celles résistantes aux antibiotiques», explique Samareh Azeredo da Silveira Lajaunias.
Combioxin réalise un premier essai clinique directement chez le patient, admis aux soins intensifs pour une pneumonie grave. «Cette maladie touche plus de 3,5 millions de patients en Europe et aux Etats-Unis et ces patients ont un risque de mortalité supérieur à 30%, malgré les meilleurs traitements disponibles aujourd’hui. Les toxines bactériennes ne sont en effet pas neutralisées par les traitements antibiotiques», affirme Samareh Azeredo da Silveira Lajaunias, dont la société a été invitée par la FDA (Food and Drug Administration américaine) en août dernier pour participer, comme expert, à un panel sur les approches non traditionnelles pour combattre les infections.
L’exigence et la ténacité de la jeune femme ont jusqu’à présent porté leurs fruits. «Les premiers résultats cliniques sont extrêmement prometteurs. Les patients traités se sont rétablis plus rapidement que les patients recevant uniquement les traitements antibiotiques conventionnels et ont pu quitter les soins intensifs une semaine plus tôt.»