Quand l’Orchestre de chambre de Genève danse la salsa
Le concert de Noël de l’Orchestre de chambre de Genève était placé sous le signe d’une nuit cubaine. Le crossover ouvre-t-il la voie à d’autres pratiques classiques? Les pistes du secrétaire général
La chevelure sauvage d’une chanteuse enflamme l’affiche. La «Nuit cubaine» programmée par l’OCG au Victoria Hall pour célébrer Noël n’a rien d’un programme traditionnel de messes, cantates ou oratorios célébrant le divin bambin. La proposition? Une soirée exotique, agrémentée d’événements collatéraux.
D’abord, une demi-heure de cours d’initiation aux pas de base de la salsa. Vendredi soir, une quarantaine d’inscrits s’essaient à l’exercice dans la bonne humeur. Ensuite, le concert. La formidable chanteuse Susana Orta chauffe le Victoria Hall, accompagnée par l’OCG, l’ensemble Siga Volando et les deux danseurs qui avaient enseigné quelques rudiments de danse cubaine. Enfin, une soirée privée destinée aux mécènes et sponsors. L’ambiance, pendant et après le concert, aura été fidèle à la promesse: chaude.
Cette façon décalée de faire vivre un ensemble classique est diversement appréciée. Le public adore, les musiciens aussi, et la cagnotte encore plus. Certains puristes doutent. Depuis environ une décennie, les concerts de Noël proposés par l’OCG sortent des sentiers classiques pour drainer d’autres publics et festoyer en musiques croisées. Depuis l’année passée, une vitesse supérieure a été enclenchée. L’invitation des anciens musiciens du groupe Abba a fait un tabac.
Le succès d’une telle opération n’est pas facile à réitérer. «La barre est placée haut, mais nous essayons de trouver de nouvelles offres. Nous avons par exemple tenté de contacter Brian May, le guitariste du groupe Queen», explique Andrew Ferguson, secrétaire général de l’OCG. Les tentatives de ce genre se suivent. Signalent-elles un changement de paradigme? «Seulement pour des occasions exceptionnelles», précise le responsable.
«Nous n’avons pas vocation à devenir un ensemble pop-symphonique. Nos abonnements proposent un équilibre réfléchi entre les différents répertoires, du baroque au contemporain, et des oeuvres connues associées à des pièces originales. Ces concerts crossover, qui sont des productions propres, se profilent à une époque particulière de la saison. Leur impact permet de toucher d’autres auditeurs, à un moment festif, et de remercier les sponsors et mécènes qui nous soutiennent en les invitant à des événements extraordinaires.»
Les «Trois B»
A l’heure où le renouvellement des publics constitue un casse-tête pour les formations classiques, les idées de diversification des genres fleurissent. Est-ce la solution? «Si ce n’est pas une panacée, le métissage représente une voie qu’on ne peut plus éviter, reconnaît Andrew Ferguson. Le plus important est de ne pas y perdre son âme. A l’OCG, les concerts de soirée et le travail réalisé par le chef Arie van Beek ont solidifié le niveau technique et musical des musiciens. Cela leur permet aujourd’hui d’être adaptables sur des projets de ce type. Mais la base reste le fameux «trois B» [Bach, Beethoven, Brahms].»
En tant qu’orchestre professionnel à mi-temps, l’OCG réalise déjà beaucoup de programmes diversifiés. «Nous faisons vivre la communauté musicale locale en collaborant avec nombre de structures chaque année. Cette variété est notre force. Mais le «tutti frutti» ne doit en aucun cas se transformer en une faiblesse, qui le verrait disparaître derrière des prestations de service trop nombreuses.»
Aujourd’hui, tout orchestre classique se positionne également comme une «entreprise». «Les grosses formations solidement subventionnées connaissent des problèmes comme partout, mais beaucoup moins vifs. Les petits ensembles doivent constamment chercher des solutions pour survivre. Ce genre de productions propres en constitue une parmi d’autres. Comme nos participations aux choeurs, opéras, concours et festivals, prestations représentant les trois quarts de nos recettes propres», révèle le responsable.
Qu’envisager alors pour renforcer les bases? «Personne n’a encore trouvé la recette idéale. Aux EtatsUnis, des études de marché sont menées pour piloter les besoins de la «clientèle». Mais l’originalité marche aussi. Il faut savoir naviguer entre l’éthique, l’équitable et le commercial…»
Les pratiques ont aussi évolué. «L’abonnement ne correspond plus aux besoins actuels. L’achat au billet est devenu le plus courant. Il faut impérativement revoir les offres et les formats de concerts. L’audience se renouvelle à un âge où les gens sont plus intéressés par le classique. Les personnes d’expérience doivent pouvoir s’y retrouver.»
Et pour atteindre les plus jeunes? «Outre l’éducation, il faut aussi leur offrir un mode opératoire et des menus plus variés. C’est une révolution qui fait peur, après plus d’un siècle d’habitudes programmatiques. Ouvrir et partager serait la devise la plus adaptée. A nous de réfléchir comment.»
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