Retour sur «la mère de toutes les démos», qui a bouleversé le monde informatique
Le 9 décembre 1968, Douglas Engelbart présentait, lors d’une démonstration d’une heure quarante, un assemblage de technologies futuristes qui font aujourd’hui partie de notre quotidien
C’était il y a pile cinquante ans. Le 9 décembre 1968, Douglas Engelbart présentait, durant une heure quarante, un assemblage de technologies révolutionnaires qui allaient poser les bases de l’informatique moderne. Appelée plus tard «la mère de toutes les démos», cette conférence devait inspirer de nombreux ingénieurs, éblouis par le mélange d’innovations présentées. Cinquante ans plus tard, nous utilisons, au quotidien, une grande partie de ce que Douglas Engelbart avait imaginé. L’ancêtre de la souris Chercheur au Stanford Research Institute (SRI) à Menlo Park, en Californie, l’homme né en 1925 vit dans un univers où les ordinateurs n’ont pas d’écran et sont affectés principalement à des tâches de calcul. Les résultats sont encore obtenus sur du papier perforé ou imprimé. Douglas Engelbart est un visionnaire. Il s’intéresse au potentiel des machines, et pas simplement à ce qu’elles sont capables de faire.
C’est à San Francisco, dans le cadre d’une conférence réunissant un millier d’ingénieurs, qu’il effectuera sa démonstration devenue célèbre. Avec son équipe du SRI, il présente son «oN-Line System» en démarrant avec une question résumant sa vision: «Si au bureau, dans le cadre de votre travail intellectuel, vous disposiez d’un écran relié à un ordinateur accessible toute la journée et répondant instantanément à toutes vos actions, quels avantages pourriez-vous en tirer?» Il a, face à lui, un clavier principal, un mini-clavier pour des commandes et l’ancêtre de la souris, avec laquelle il contrôle un pointeur à l’écran.
Dans un article complet, l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) résume très bien la démo: «L’image de ses mains et celle de son écran sont projetées en grand, ce qui permet à chacun de suivre ses actions. Le public découvre un système intégré permettant l’édition de documents structurés mélangeant texte et graphiques, le choix entre différentes vues du contenu, la recherche dans ces documents, la création de liens entre des éléments quelconques internes ou externes, l’affichage simultané de plusieurs documents dans des zones d’écran séparées.» «Un événement exceptionnel»
La démo a d’autant plus d’impact que Douglas Engelbart collabore, durant sa démo, avec Bill Paxton, situé à Menlo Park, à 50 kilomètres de San Francisco. Les deux hommes interagissent sur un document en temps réel et se voient. «Ce fut un événement exceptionnel, car pour la première fois de nombreuses technologies prometteuses étaient rassemblées lors d’une démonstration: un système graphique, l’ancêtre de windows, des liens hypertextes, la visioconférence, des liens dynamiques entre les fichiers, un traitement de texte…, explique Guerrino de Luca, président du conseil d’administration de Logitech. Douglas Engelbart n’était pas un homme de marketing, mais il a réussi à créer une démo inoubliable qui a été l’un des fondements de l’informatique actuelle. Ce qu’il a montré se retrouve dans tout ce que nous faisons, aujourd’hui, dans le monde numérique.»
Pour Guerrino de Luca, Logitech doit beaucoup à Douglas Engelbart: «Grâce, en partie, à lui, Logitech a connu un succès incroyable avec les souris: en 2019, nous annoncerons la vente de notre deux milliardième souris, rendez-vous compte! Il a vraiment inspiré Logitech avec sa démo. Et n’oubliez pas qu’en tant que telle, une souris ne sert à rien. La création des systèmes graphiques, inspirés eux aussi par cette démo, a été un élément fondateur de l’informatique.» Bureau chez Logitech
Le président du conseil d’administration a eu un lien direct avec Douglas Engelbart. «Quand je suis arrivé chez Logitech en 1998, il possédait déjà un bureau au sein de l’entreprise depuis deux ou trois ans. Il n’était pas un employé de la société, mais par reconnaissance pour tout ce qu’il avait fait, Logitech avait mis à sa disposition gratuitement un bureau et une salle d’archives pour qu’il puisse y poursuivre ses projets. Tous les mois, j’avais la chance de passer entre quarante et soixante minutes avec lui, durant lesquelles il me racontait ses inventions et sa vision. je me souviens que, chaque fois, il me fallait un jour ou deux pour bien comprendre ce qu’il m’avait dit et en réaliser la portée. Il était toujours chaleureux, il avait l’envie de partager sa passion, alors que j’étais un homme de marketing, de management, lui, le scientifique aimait m’ouvrir son monde.»
Douglas Engelbart est décédé en 2013, laissant un héritage majeur dans l’informatique.
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ANOUCH SEYDTAGHIA