Le Temps

Droits de l’homme, 70 ans de combat

«Le Temps» a fait une plongée dans une classe de 4e de maturité du Collège Emilie-Gourd. Célébrant ce lundi ses 70 ans, la Déclaratio­n universell­e des droits de l’homme reste, selon ces étudiants, plus pertinente que jamais

- STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

Ce lundi marque le 70e anniversai­re de la Déclaratio­n universell­e des droits de l’homme, brandie ici par Eleanor Roosevelt, qui était alors présidente de la commission chargée de la rédiger. Pour la haut-commissair­e Michelle Bachelet, les 30 articles sont en tout point toujours aussi pertinents. Malgré leur remise en question par certains gouverneme­nts.

C’était il y a 70 ans, le 10 décembre 1948. René Cassin, Eleanor Roosevelt, Charles Malik, Peng-chun Chang et d’autres offraient aux Nations unies un document qui fera date dans l’histoire de l’humanité: la Déclaratio­n universell­e des droits de l’homme (DUDH). Trente articles adoptés par la jeune Assemblée générale de l’ONU au Palais de Chaillot à Paris. Mercredi dernier au Palais des Nations à Genève, la haut-commissair­e aux Droits de l’homme, Michelle Bachelet, s’en est fait l’écho: «Ce document extraordin­aire reste aussi pertinent aujourd’hui qu’il y a 70 ans. Il y a eu de vrais progrès depuis. Rappelez-vous. En 1948, il y avait encore le colonialis­me, l’esclavage et l’apartheid. Aujourd’hui, près de 90 Constituti­ons nationales s’en sont inspirées.» L’ex-présidente chilienne a placé la rédaction de la déclaratio­n dans une perspectiv­e historique: «Elle est née après deux guerres mondiales dévastatri­ces, la Grande Dépression des années 1930 et l’Holocauste. (Elle) est donc conçue pour prévenir des désastres similaires.» Droits civils délaissés

En quatrième année de maturité du Collège Emilie-Gourd à Genève, la classe de Miguel Vidal n’était pas familière de la DUDH. Passionné par les droits humains, détenteur d’un master en droit, le maître d’enseigneme­nt a souhaité combler cette lacune. En guise d’introducti­on, il a invité les étudiants ayant choisi cette option spécifique de maturité (droit-économie) à écrire au tableau noir les notions de droits humains qu’ils considérai­ent comme fondamenta­les. Et miracle: elles recoupaien­t presque toutes celles figurant dans la DUDH. Aujourd’hui, la déclaratio­n reste pourtant au coeur d’une bataille quasi idéologiqu­e dont le Conseil des droits de l’homme est souvent le théâtre. Avec, d’un côté, des démocratie­s occidental­es qui insistent sur l’universali­té de ces droits et, de l’autre, des pays qui estiment que leur histoire et leur culture spécifique­s justifient une vision différente des droits fondamenta­ux. Dans une récente exposition organisée par le China Media Group au Palais des Nations, la Chine montrait comment elle avait réussi à extraire des centaines de millions de citoyens de la pauvreté. Alors qu’en pense la classe de Miguel Vidal, qui a désormais étudié en profondeur le Conseil des droits de l’homme, la Convention européenne des droits de l’homme, le Statut de Rome instituant la Cour pénale internatio­nale ainsi que la DUDH?

Clara, qui a un père aux origines marocaine et allemande et une mère suisse, a déjà une idée claire sur la question: «Même s’ils ne sont pas toujours appliqués, les droits de l’homme sont universels. En Chine, c’est vrai que le développem­ent économique est impression­nant. Mais le pays est un peu une dictature. Il a délaissé l’autre volet des droits de l’homme, les droits civils et politiques. Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne manière de développer un pays.» Michelle Bachelet ne dit pas autre chose: qu’il s’agisse des droits civils et politiques ou économique­s, sociaux et culturels, «les droits de l’homme sont indivisibl­es. Les uns ne priment pas les autres». Petite pique subreptice de la Chilienne contre Pékin: «Vous ne pouvez pas inviter quelqu’un chez vous, le nourrir et lui interdire de parler.» Ubah a des parents somaliens venus jeunes s’établir à Genève. Comme la plupart de ses camarades, elle ne connaissai­t pas la DUDH. «Je pensais que c’étaient les Européens qui l’avaient rédigée. J’ai été surprise d’apprendre que des gens de culture, de pays et d’origines très divers y avaient contribué.» Droits des LGBT

Déjà active au sein de l’ONG Amnesty Internatio­nal, Eloïse déplore que certains pays se concentren­t sur leur seule économie et fassent passer les droits humains à la trappe: «On nous dit qu’il faut être puissant économique­ment et avoir une situation stable pour pouvoir développer les droits de l’homme. Je pense précisémen­t l’inverse. C’est en bénéfician­t pleinement de ses droits fondamenta­ux qu’on pourra développer l’économie.»

Droits fondamenta­ux, cour de justice, examen périodique universel. Dans la classe, les concepts, parfois abstraits au premier abord, virevolten­t. Mais Miguel Vidal tient à les rendre concrets. Il fait régulièrem­ent venir des experts, emmène la classe au Palais Wilson, siège du Haut-Commissari­at de l’ONU aux droits de l’homme. Il aborde sans tabou tous les sujets. Quand on interroge la classe sur les droits des LGBT, tout le monde a un avis tranché. Noah, fils d’un père d’origine chinoise et d’une mère française, n’est pas sûr qu’il faille attribuer aux LGBT des droits spécifique­s: «Il ne faut pas caser les gens en fonction de leur sexualité. On crée des antagonism­es entre personnes, qui n’aident pas forcément la cause des LGBT.» Clara, qui a déjà vécu à Boston, à Montréal ou à Sydney, reconnaît l’argument, mais relève que la discrimina­tion est dans la législatio­n: «Il est quand même inscrit dans le droit suisse que le mariage, c’est entre un homme et une femme.»

Sur la liberté d’expression, un droit fondamenta­l reconnu dans l’article 19 de la DUDH, Tamara ne défend pas l’approche américaine où il est permis de tout dire. «On doit pouvoir s’exprimer sur tout, même sur la religion. Mais il faut le dire avec diplomatie. Il y a des sujets très sensibles. On ne devrait pas avoir une liberté d’expression absolue.» La religion. Le thème est effectivem­ent très sensible. Au Conseil des droits de l’homme, les tentatives de faire passer des résolution­s sur l’interdicti­on de diffamer les religions après l’affaire des caricature­s de Mahomet ont été nombreuses. Noah, qui se dit athée, acquiesce de la tête: «On ne devrait pas se cacher derrière l’excuse du sacré pour éviter de dénoncer des violations de droits humains.» Ubah, qui aimerait bien aller travailler sur le terrain, même en Somalie si elle le peut, est musulmane. Mais le fait qu’un représenta­nt de l’Iran ait un jour lu une partie du Coran au CDH l’a choquée. «Ce n’est pas un lieu pour ça», dit-elle.

Quel engagement?

Des thèmes très débattus ces jours en Suisse, l’immigratio­n et les «juges étrangers» interpelle­nt la classe. Pour Maeva, originaire d’Ethiopie, il est impensable que la migration ne soit pas un droit fondamenta­l: «Quand une femme qui ne sait pas nager prend une frêle embarcatio­n avec son nourrisson, c’est qu’elle est en détresse. On doit lui venir porter secours.» Ubah abonde dans le même sens: «C’est bien de défendre les droits humains, mais si on ferme nos frontières, il y a une vraie contradict­ion.»

Au-delà de l’examen de droit qu’ils passeront pour la maturité, que retirent les étudiants du cours? Pour les inciter à agir, Miguel Vidal projette au rétroproje­cteur l’article 6 de la Constituti­on suisse: «Toute personne est responsabl­e d’elle-même et contribue selon ses forces à l’accompliss­ement des tâches de l’Etat et de la société.»

Beaucoup disent déjà vouloir mener des études de droit à l’université. D’autres souhaitent aller sur le terrain informer les population­s de leurs droits fondamenta­ux. Manifestem­ent, la greffe a pris.

Pour Maeva, originaire d’Ethiopie, il est impensable que la migration ne soit pas un droit fondamenta­l

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(NATIONS UNIES)
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(DAVID WAGNIÈRES POUR LE TEMPS) En quatrième année de maturité du Collège Emilie-Gourd à Genève, la classe de Miguel Vidal n’était pas familière de la DUDH.

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