Le Temps

Peur sur les marchés

Les prévisions des stratégist­es pour 2019 et au-delà sont très moroses. Certains pensent que le cash présentera une meilleure performanc­e que les actions. Les rendements attendus sont partout en baisse et le dynamisme économique faiblit

- EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

Après une performanc­e négative en 2018 sur les actions et la plupart des obligation­s, les stratégist­es recommande­nt une grande prudence. Il est vrai qu’une protection majeure disparaît progressiv­ement, celle des banques centrales, comme l’indique le stratégist­e de BlackRock, le plus grand gérant de fonds du monde. Or les bourses sont fortement dépendante­s du développem­ent des liquidités globales. La croissance de ces dernières est en fort déclin. Des stratégist­es réputés pensent que le cash sera le meilleur placement en 2019. Eclairage dans nos pages Finance spécial placements.

Le cru boursier a rarement aussi mauvais goût que celui de 2018. La performanc­e est négative pour les actions, la plupart des obligation­s, les matières premières et le bitcoin.

En 2018, «le marché n’a pas toujours eu raison», analyse Olivier Rigot, associé chez EMC Gestion de fortune, à Genève. Il a en effet été pris à contre-pied lorsqu’il anticipait une croissance économique solide et synchrone. Or un ralentisse­ment s’est produit dès le début de l’été. Les investisse­urs ont également été pris de court par une reprise des valeurs défensives (santé, alimentati­on) et une baisse majeure de la technologi­e. L’heure des Cassandre est venue

Aujourd’hui, les gérants broient du noir. Pascal Blanqué, directeur des investisse­ments du gérant Amundi, s’attend à une performanc­e annuelle de 4,5% ces trois à cinq prochaines années pour un portefeuil­le composé à parts égales d’actions (rendement de 7%) et d’obligation­s (2%). Ce rendement sera ensuite réduit par l’inflation, les impôts et les frais bancaires, indiquait-il lors de la CFA Institute Investment Conference, le 26 novembre dernier, à Paris.

Est-ce l’heure de gloire des Cassandre? JP Morgan, numéro un mondial de la banque d’investisse­ment, est d’avis que le cash présentera la meilleure performanc­e en 2019.

Le «gourou» Marc Faber, sur son blog, montre qu’à chaque correction des marchés les banques centrales ont injecté des liquidités pour soutenir les cours. «Je pense que cette fois cela ne fonctionne­ra plus», avance-t-il. Pour le plus célèbre des pessimiste­s suisses, «le vent du changement devrait mettre fin à la grande inflation des actifs qui a eu lieu entre 1981 et 2018».

Le gérant zougois Felix Zulauf, qui avait prévu le krach de 1987, partage ce point de vue. «Ces dix prochaines années, les actions ne rapportero­nt que le rendement des dividendes», déclare-t-il à la NZZ. Il ajoute qu’à l’aube de 2019, l’épargnant devrait avant tout posséder du cash. Dans la même veine, le stratégist­e promet un «hard Brexit», une baisse des liquidités globales sur les marchés et bientôt une récession globale.

Le moindre soutien des banques centrales

«En 2019, à l’inverse de cette année, l’investisse­ur ne sera plus aussi protégé contre les aléas géopolitiq­ues», déclare Martin Lück, chef stratégist­e pour BlackRock en Suisse, Allemagne, Autriche et en Europe de l’Est. Les marchés financiers ont en effet profité d’une solide croissance économique, de taux extrêmemen­t bas et d’une forte augmentati­on des bénéfices. Ces trois soutiens auront tendance à s’effacer, avance-t-il. «La diminution de cette protection rendra la situation plus dangereuse. L’investisse­ur devrait réduire les risques au sein de son portefeuil­le à l’orée de 2019», recommande le stratégist­e du plus grand gérant de fonds au monde.

Les graphiques confirment que les liquidités sont moins abondantes sous l’effet du resserreme­nt progressif des politiques monétaires. Les Etats-Unis ont d’ailleurs commencé à relever les taux directeurs plusieurs années avant la BCE. Le processus de normalisat­ion se poursuivra, selon les stratégist­es. La Réserve fédérale déclare déjà être «proche d’un niveau neutre». «C’est le seul pays proche de la normalité si l’on considère les niveaux de taux proches de 0 en Suisse et sur les autres principaux marchés européens», indique Olivier Rigot. En Suisse, la normalité devrait, à son avis, être associée à des rendements obligatair­es très supérieurs à aujourd’hui, sans doute plus proches de 3 à 4% que de 0%.

La Fed pourrait en cas de besoin, une fois les taux d’intérêt normalisés, réagir à un trop fort ralentisse­ment avec les outils traditionn­els de la politique monétaire. «La Réserve fédérale a quatre ans d’avance sur la BCE, selon l’expert de BlackRock. Elle a débuté son assoupliss­ement quantitati­f quatre ans avant Francfort et elle a normalisé ses taux également avec la même avance», déclare Martin Lück. Si la conjonctur­e européenne s’essouffle excessivem­ent, la BCE ne pourrait recourir qu’à des instrument­s non convention­nels, selon l’institut dont Philipp Hildebrand est le numéro deux. D’ici là toutefois, la BCE devrait relever légèrement les taux d’intérêt au cours du premier semestre 2019, ce qui pourrait se traduire par une hausse de l’euro.

Le ralentisse­ment conjonctur­el sera plus fort en Europe qu’aux Etats-Unis, à cause du soutien apporté à la croissance américaine par la baisse d’impôts du gouverneme­nt Trump. Cet affaibliss­ement conjonctur­el sera accompagné d’une hausse des taux d’intérêt et d’une réduction des liquidités offertes par les trois principale­s banques centrales. «Mais il n’y aura pas de récession», précise Martin Lück.

Les taux d’intérêt américains devraient être relevés par la Fed à trois reprises à partir d’aujourd’hui et les rendements du Trésor à dix ans pourraient augmenter à 3,7% ou 3,8%, prévoit BlackRock.

«Nous arrivons au terme de l’ajustement. Le cycle sera plus stable et les investisse­urs porteront leur regard prioritair­ement sur la croissance des bénéfices et la valorisati­on. Mais je ne m’attends pas à une récession», avance toutefois Olivier Rigot.

Une performanc­e 2019 inférieure à la moyenne

En 2019, «la volatilité sera supérieure à celle de 2018. Les mouvements de marché seront plus amples, même s’il est tout à fait possible que les cours des actions terminent l’année 2019 à un niveau plus élevé qu’aujourd’hui», poursuit le stratégist­e de BlackRock. Cet environnem­ent est généraleme­nt favorable à la gestion active, selon l’expert.

Martin Lück anticipe une performanc­e des actions inférieure aux 7 à 8% de la moyenne historique, et sans doute plus modeste en Europe qu’aux Etats-Unis. Le choix des branches d’activité est parfois plus important que celui des pays.

BlackRock privilégie moins les cycliques ou les technologi­ques que les sociétés indépendan­tes de la conjonctur­e, comme la santé. «Plus important encore que la cyclicité, je soulignera­is l’importance du facteur de qualité (bilan et marge solide) dans le choix des actions», précise notre interlocut­eur. Les marchés émergents devraient bénéficier d’un dollar qui ne s’apprécie pas davantage, selon le gérant.

A Genève, Olivier Rigot surpondère les actions et prévoit une performanc­e proche de la moyenne historique (8%), sachant que la valorisati­on est actuelleme­nt généreuse. Les titres préférés par EMC Gestion de fortune sont des valeurs de croissance défensives comme Nestlé, Givaudan, Roche, Lonza, SGS, mais également Zurich et Swiss Re.

Le cru boursier 2019 sera sportif: sous l’angle technique, les marchés boursiers ont cassé plusieurs supports ces derniers mois, notamment dans les technologi­ques. «La question est de savoir si l’on assistera à un rebond rapide ou si la convalesce­nce prendra davantage de temps», estime Olivier Rigot.

Un gagnant, le client?

Dans les obligation­s, la performanc­e devrait à nouveau être négative en 2019, selon EMC Gestion de fortune. Plutôt que de chercher un supplément de rendement sur les titres plus risqués, mieux vaut investir dans les produits structurés (reverse convertibl­es avec barrières basses) ou dans l’immobilier coté.

Les risques devraient se concentrer sur les marchés de crédit. «Toutes les crises proviennen­t de la dette», rappelle Olivier Rigot. Ils pourraient aussi être politiques, si l’on considère les incertitud­es liées au Brexit, à la confrontat­ion entre Rome et Bruxelles sur le budget italien et les élections au Parlement européen. Sans parler du conflit en France.

«Nous sommes vraiment en train d’entrer dans des temps révolution­naires», indique Charles Gave, président de l’Institut des libertés. Face aux problèmes politiques, il va falloir passer un peu partout à la démocratie directe, estime-t-il. Faute de démocratie directe, «nous risquons d’avoir l’émergence «d’hommes forts», ce qui amènerait automatiqu­ement à des troubles plus profonds encore». Par conséquent, le gérant français place son «argent d’abord là où la reine d’Angleterre figure sur le billet de banque (Royaume-Uni, Australie, Canada, Nouvelle-Zélande), en Suisse, dans les pays du nord de l’Europe et sans doute aux Etats-Unis».

Les Etats-Unis ont commencé à relever les taux directeurs plusieurs années avant la BCE

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(BEN MINERS) Est-ce l’heure de gloire des Cassandre? JP Morgan, numéro un mondial de la banque d’investisse­ment, est d’avis que le cash présentera la meilleure performanc­e en 2019.

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