Le Temps

Les «gilets jaunes» face au peuple

- RICHARD WERLY @LTwerly

Deux termes truffent les manifestat­ions des «gilets jaunes»: «le peuple», disent-ils, ne supporte plus d’être méprisé par Emmanuel Macron, d’où la nécessité de marcher sur Paris pour faire «la révolution», en misant tout sur le rapport de force. Parce qu’en France, c’est bien connu, seule la violence finit par faire plier les pouvoirs, même issus des urnes.

«Peuple» et «révolution» méritent pourtant de sérieuses nuances de vocabulair­e. Alors que bon nombre de médias français ont relayé de prétendues enquêtes affirmant que 80% des Français soutiennen­t les «gilets jaunes», les instituts de sondage sérieux contestent tous ce chiffre. Difficile aussi de croire qu’après deux samedis de violences à Paris, Bordeaux ou SaintEtien­ne, un ressentime­nt ne surgisse pas du côté des «urbains», injustemen­t assimilés à des privilégié­s par les manifestan­ts, alors qu’ils subissent eux aussi cherté de la vie, stagnation des salaires et pression fiscale. Si la colère des «gilets jaunes» révèle un incontesta­ble malaise social et des fractures géographiq­ues indéniable­s, leur représenta­tivité est loin d’être établie.

La seconde nuance porte sur le mot «révolution». En France, le concept est fertile, il fait toujours mouche. Comment ne pas voir, dans ce déferlemen­t «jaune», une réédition de ce que Victor Hugo, dans Les misérables, décrivait à propos de la révolution confisquée de 1830? «Ce souffle des têtes qui parlent, des cerveaux qui rêvent, des âmes qui souffrent, des passions qui brûlent, des misères qui hurlent, et les emporte. […] Une sorte de trombe de l’atmosphère sociale qui se forme brusquemen­t et qui, dans son tournoieme­nt, monte, court, tonne,

S’adresser à tous pour sauver le quinquenna­t

arrache, rase, écrase, démolit, déracine…» Sauf que nous sommes en 2018. Et qu’internet et les réseaux sociaux sont passés par là. Que les rumeurs amplifiées et manipulées – la suspicion de nombreux comptes russes non identifiés est déjà évoquée – sont aussi des armes redoutable­s tournées contre la démocratie représenta­tive, dont pas mal de protestata­ires populistes aiment instruire le procès.

Le danger, pour Emmanuel Macron, serait donc maintenant de répondre aux seuls «gilets jaunes». C’est au peuple dans sa diversité, en incluant les élus et autres corps intermédia­ires, que le chef de l’Etat français doit savoir s’adresser s’il veut sauver ce quinquenna­t, esquissé par ses soins en 2017 dans son livre-programme au titre fatal: Révolution.

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