La Suisse, ce «nid de terroristes»
Pour le Département d’Etat américain, la menace terroriste est élevée sur le territoire helvétique durant les fêtes de fin d’année. Selon les spécialistes suisses, elle n’a pas bougé depuis 2015
Washington juge que la menace est sérieuse pendant les Fêtes et avertit ses compatriotes
La Suisse ne serait-elle plus, vue de Washington, ce pays réputé sûr et hors de danger pour ses ressortissants qui y vivent en toute quiétude? Le Département fédéral des affaires étrangères et le Service de renseignement de la Confédération (SRC) pensent que la menace terroriste n’a en fait pas changé depuis trois ans – depuis les attentats de Paris –, mais le Département d’Etat américain vient de faire parvenir un courrier alarmiste à ses compatriotes qui vivent en Suisse: il y aurait, selon lui, des risques persistants venant d’organisations terroristes transnationales dans toute l’Europe, y compris en Suisse. Ridicule? Certains le pensent, voire jugent cette mise en garde insultante pour les autorités fédérales, qui ne seraient pas au courant d’informations détenues par Washington.
En réalité, l’avertissement semble plutôt être de routine en fin d’année: durant les Fêtes, avec les rassemblements sur les marchés, dans les manifestations publiques ou les supermarchés, les lieux de culte, les aéroports et les restaurants, Berne pense qu’«il faut prendre les précautions habituelles», à savoir faire preuve de vigilance dans la foule qui gonfle avec les vacanciers et dans les lieux touristiques.
La prose anxiogène d’un pays ami comme les Etats-Unis choque donc plutôt qu’autre chose. Henry Muller, par exemple, binational vivant dans le canton de Vaud qui connaît bien la qualité des mesures de sécurité en usage dans ce pays, rétorque: «Si j’étais un nouveau venu lisant ce message, j’aurais peur de sortir pendant les vacances de Noël.»
Le SRC juge pourtant que la menace terroriste demeure élevée depuis 2015. D’autres pays constituent des cibles prioritaires, mais les intérêts de ces Etats, particulièrement ceux qui jouent un rôle prépondérant dans la lutte contre le djihadisme, pourraient aussi être visés sur le territoire helvétique.
«Un pays où l’on se sent bien plus sûr que dans n’importe quelle ville américaine»
HENRY MULLER, BINATIONAL
L’alerte fait froid dans le dos. Elle émane du Département d’Etat et chaque citoyen américain résidant en Suisse inscrit auprès des services de l’ambassade des Etats-Unis à Berne l’a reçue par courrier électronique. «Pendant la période des Fêtes, dit le texte, les mesures de sécurité au Liechtenstein et en Suisse restent renforcées en raison des menaces persistantes d’organisations terroristes transnationales et d’individus inspirés par l’idéologie extrémiste dans toute l’Europe. Les extrémistes continuent de se concentrer sur les lieux touristiques, les centres commerciaux, les aéroports, les clubs, les restaurants, les lieux de culte, les carrefours de transport et d’autres cibles faciles d’accès fréquentées par les Occidentaux.»
Après cette introduction choc, un paragraphe invite le lecteur à faire «preuve d’une vigilance accrue lors des festivals et des événements du temps des Fêtes, des lieux de culte et des lieux accueillant de nombreuses foules».
«Alarmiste, voire insultant»
Le sang de Henry Muller n’a fait qu’un tour en lisant ces lignes. Binational habitant dans le canton de Vaud, il les a trouvées «ridiculement alarmistes, voire insultantes vis-à-vis d’un pays ou l’on se sent bien plus sûr que dans n’importe quelle ville américaine».
Les Américains savent-ils quelque chose que les autorités helvétiques ignorent? Des renseignements leur sont-ils parvenus qui peuvent faire penser que le territoire helvétique serait la cible d’une attaque imminente, menée par exemple par des djihadistes? L’ambassade des Etats-Unis minimise la portée de ce message, dont l’envoi obéirait à une sorte de routine de fin d’année: «Ces alertes sont publiées en conjonction avec les avis aux voyageurs émis par le Département d’Etat des ÉtatsUnis pour tous les pays, y compris la Suisse. Le niveau d’alerte actuel pour la Suisse est le niveau 1, qui demande aux personnes de «prendre les précautions habituelles». L’alerte que vous mentionnez […] rappelle aux individus de rester vigilants pendant les vacances de saison à la lumière des récentes attaques en Europe.»
En Suisse, l’évaluation de la situation de la menace au niveau fédéral est de la compétence du Service de renseignement de la Confédération (SRC). Ce dernier juge que la menace terroriste reste élevée en Suisse. C’est le cas depuis novembre 2015. Et rien ne permet d’affirmer que la situation a récemment évolué défavorablement. «Selon l’appréciation du SRC fondée sur la propagande djihadiste ainsi que sur les attaques réussies ou déjouées, d’autres pays constituent […] des cibles prioritaires», précise la dernière évaluation en date, qui souligne tout de même que «les intérêts d’autres Etats considérés comme opposés à l’islam par les djihadistes ou jouant un rôle prépondérant dans la lutte contre le djihadisme sur la scène internationale pourraient […] être la cible d’attaques sur le territoire suisse».
Les Américains savent-ils quelque chose que les autorités helvétiques ignorent?
Cet avertissement surprenant gêne-t-il les diplomates du Département fédéral des affaires étrangères? Quelle appréciation politique fait-il de cette prose anxiogène émanant d’un pays ami? Officiellement, aucune. Son porte-parole renvoie à la fiche d’analyse du SRC sans faire plus de commentaires.
«Ce que je trouve choquant, c’est que, n’ayant aucune information à ce sujet, le Département d’Etat des Etats-Unis décrit la Suisse comme un nid de terroristes, le danger se cachant derrière toutes les célébrations de vacances, reprend Henry Muller. Nous qui vivons ici savons que ce n’est pas le cas, mais si j’étais un nouveau venu lisant ce message, j’aurais peur de sortir pendant les vacances de Noël.»
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