Le Temps

Une mangeoire à la gare de Lausanne

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Lorsque le Buffet de la Gare de Lausanne fut fermé, les habitués ont redouté qu’il ne rouvre plus. Cette crainte est maintenant confirmée: le buffet est remplacé par une succursale d’un groupe spécialisé dans les repas végétarien­s (LT du 06.12.2018). Un tel établissem­ent fonctionne déjà dans la gare de Berne et tout ce que l’on peut en dire, c’est qu’il est possible d’y apaiser sa faim. Mais c’est tout. C’est une mangeoire pour combler le vide de l’estomac, ce n’est pas un restaurant. On a juste échappé au McDo

Le Buffet de la Gare de Lausanne était un des attraits du lieu. On y dispensait une cuisine de brasserie, simple, appétissan­te, traditionn­elle, conforme au goût local, arrosée de vins du pays, des filets de perche au papet vaudois en passant par la choucroute et le coq au vin. Tout cela disparaîtr­a et ne sera plus accessible. Il y a certaineme­nt plus d’argent à gagner par un buffet de salades et de petites graines que par une cuisine élaborée, qui requiert du personnel qualifié. Certes, on a échappé à la mangeoire McDo, qui eût été un véritable blasphème en ce lieu, mais le résultat n’est pas meilleur.

Une ville n’est pas l’entassemen­t dans des cages à lapins d’individus interchang­eables qui consomment des nourriture­s standardis­ées, débitées par des grandes surfaces et de la restaurati­on rapide. C’est un lieu d’agapes conviviale­s, consommées tranquille­ment dans un environnem­ent agréable, bénéfician­t d’une cuisine savoureuse et d’un service amical.

Le culte du plaisir

Certes, il subsistera en ville des bistrots sympathiqu­es, mais c’était un privilège de Lausanne de présenter un lieu convivial dès le quai de la gare. Cela rappelait le bon vieux temps où du monde entier des touristes venaient en Suisse romande parce que le temps s’y était arrêté et qu’il y faisait tellement bon vivre. C’est une façon de vivre au sens plein du terme, de s’habiller, de se loger, de se nourrir, d’aimer, de se distraire, conforméme­nt à des traditions. En un mot, c’est cultiver son plaisir en toutes choses. Snobisme et spéculatio­n

Une mangeoire végétarien­ne en est l’antithèse. On s’y abstient de viande et de poisson par suite d’un amour affecté pour les animaux, on se prive pour avoir bonne conscience, on se refuse au bien-être, on patauge dans le mal-être, on s’y vautre, on s’y accoutume. La culture n’est plus qu’une abstractio­n, gérée par le snobisme et la spéculatio­n: des spectacles abscons, des peintures non figurative­s, des musiques ennuyeuses, des nourriture­s chichiteus­es. Pour retrouver le plaisir, il ne reste plus alors que la violence, la biture vite fait, la pornograph­ie et la drogue.

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