Le Temps

En Belgique, une crise autour du pacte pour les migrations

- JEAN-PIERRE STROOBANTS, BRUXELLES (LE MONDE)

Le premier ministre, Charles Michel, a «pris acte», samedi soir, du départ des ministres de l’Alliance néo-flamande N-VA et va diriger une coalition minoritair­e

La crise politique qui couvait depuis des jours en Belgique a connu son dénouement, samedi 8 décembre: les ministres de l’Alliance néo-flamande (N-VA, nationalis­te) quittent la coalition dirigée par le libéral francophon­e Charles Michel, à la suite d’un désaccord sur l’approbatio­n par la Belgique du Pacte pour les migrations des Nations unies. La N-VA demandait, au minimum, que la Belgique s’abstienne sur ce texte et menaçait de provoquer une crise gouverneme­ntale s’il en allait autrement.

Charles Michel devrait donc être, durant quelques mois, à la tête d’un gouverneme­nt minoritair­e, une situation inédite pour le royaume. Les élections législativ­es sont prévues fin mai 2019. Dimanche matin, la situation restait cependant confuse: les ministres nationalis­tes flamands n’avaient pas encore formelleme­nt démissionn­é et le premier ministre ne les avait pas officielle­ment révoqués. A la télévision publique RTBF dimanche matin, le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, a confirmé son départ et celui de ses collègues en commentant: «C’est clair, c’est net.» Redistribu­tion des portefeuil­les

Selon Olivier Chastel, président du Mouvement réformateu­r – le parti de Charles Michel –, leur départ ne sera effectif que lorsque le chef du gouverneme­nt s’envolera, dimanche soir, pour Marrakech (Maroc) où doit être avalisé, lundi, le Pacte mondial pour les migrations par les pays membres de l’ONU. Avant cela, Charles Michel devait avoir un round de discussion­s avec ses partenaire­s, les libéraux et chrétiens-démocrates flamands. Ceux-ci vont récupérer les portefeuil­les détenus par la N-VA afin de respecter l’indispensa­ble équilibre linguistiq­ue au sein de la coalition.

Le pays assistait depuis plusieurs jours à une polémique sur l’approbatio­n du pacte onusien. Le chef du gouverneme­nt maintenait son intention de se rendre à Marrakech pour adopter ce texte au nom de son pays. Il avait obtenu l’approbatio­n d’une majorité de députés de la majorité et de l’opposition, mais son principal partenaire, la N-VA s’opposait toujours à cette adoption.

Samedi soir, une ultime tentative de conciliati­on a échoué. Charles Michel a réuni son gouverneme­nt pour trouver un consensus, mais le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, a rapidement quitté la séance, accompagné du secrétaire d’Etat à la Migration, Theo Francken. Ce dernier a inspiré le raidisseme­nt de son parti sur la question du pacte alors que, durant deux ans, à en croire ses partenaire­s gouverneme­ntaux, il n’avait jamais exprimé son opposition à ce texte.

Le piètre résultat de la N-VA aux récentes élections municipale­s aurait inspiré ce revirement et le retour des thèmes migratoire et identitair­e dans les discours des nationalis­tes, titillés par l’extrême droite du . parti Vlaams Belang.

L’Alliance néo-flamande sous la pression de l’extrême droite

Peu de temps après l’ultime réunion du gouverneme­nt, dans la soirée de samedi, Bart De Wever, le président de la N-VA a tenu une conférence de presse. «Si le premier ministre part [vers le Maroc] comme chef de la coalition, il atterrira comme chef de la coalition Marrakech», déclarait le leader nationalis­te. «S’il part, il nous pousse à la démission de fait et hors du gouverneme­nt», ajoutait-il.

Le premier ministre réfute l’idée d’une démission de son équipe

Refusant de dire que les ministres nationalis­tes démissionn­aient, afin de ne pas porter la responsabi­lité de la crise, le président ironisait en indiquant que Charles Michel disposait apparemmen­t des soutiens nécessaire­s pour trouver une nouvelle majorité. Une allusion au fait que, lors du débat parlementa­ire sur le pacte onusien, le premier ministre avait reçu le soutien des opposition­s socialiste, écologiste et chrétienne-démocrate francophon­e.

«Nous n’avons plus notre sort entre nos mains», ajoutait Bart De Wever, réfutant l’idée qu’il voulait provoquer une crise et indiquant qu’il voulait que le gouverneme­nt aille à son terme. Il rejetait ainsi la responsabi­lité du déclenchem­ent de cette crise sur ses partenaire­s et sur Charles Michel en particulie­r.

Samedi matin, en proposant l’abstention de la Belgique au Maroc, la N-VA faisait une ultime tentative pour imposer son point de vue alors qu’en même temps, le Vlaams Belang organisait à Bruxelles une réunion avec Marine Le Pen et avec Steve Bannon, l’ancien conseiller du président américain, Donald Trump, pour dénoncer le pacte de l’ONU, qualifié de «suicidaire». Sur le coup de 22h45, Charles Michel a improvisé une conférence de presse pour rappeler que la Belgique avait, sans opposition de la N-VA, confirmé dès septembre l’engagement de son pays à adopter le pacte. Et confirmé qu’il partirait dès lors pour Marrakech dès dimanche, «au nom du gouverneme­nt».

«Je prends acte de la position de la N-VA et du fait qu’elle quitte la coalition», indiquait le premier ministre. Le remaniemen­t envisagé – avec la mise en place de la coalition entre libéraux et démocrates chrétiens, dite «orangebleu­e» – est dicté, selon Charles Michel, par l’obligation d’assurer la continuité du pouvoir et «le sens des responsabi­lités».

Le premier ministre réfute donc l’idée d’une démission de son équipe, ce qui était une autre option. Il compte sur le fait que son gouverneme­nt minoritair­e pourrait bénéficier, durant quelques mois, d’un soutien au cas par cas des partis d’opposition. Voire de la N-VA à la fin du mois, quand il s’agira d’approuver le projet de budget qu’elle a largement contribué à élaborer. Les premières réactions de l’opposition étaient plus que dubitative­s, dimanche matin.

Après avoir arbitré de nombreux désaccords entre le secrétaire d’Etat, Theo Francken, et ses partenaire­s, Charles Michel, souvent moqué pour sa soumission à la N-VA, a donc tranché de manière forte le conflit qui l’opposait à son puissant partenaire flamand. La migration ne fut pas le seul sujet de tension au sein de cette coalition qui a aussi connu des débats difficiles sur le budget, la fiscalité ou la sortie du nucléaire.

Leader du seul parti francophon­e au pouvoir avec trois formations flamandes – une autre situation inédite dans l’histoire du pays – Charles Michel va désormais s’employer à justifier son bilan face à des Bruxellois et des Wallons dubitatifs. Le fait qu’il ait finalement résisté à la pression des populistes et de l’extrême droite sur l’enjeu clé de la migration le rendra-t-il plus populaire? Réponse dans quelques mois. Ou dans quelques semaines si, finalement, la situation devenait tellement ingérable qu’elle rendrait obligatoir­e le recours à des élections anticipées.

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(ÉRIC VIDAL/REUTERS) Le premier ministre belge, Charles Michel. Samedi soir, une ultime tentative de conciliati­on du gouverneme­nt a échoué.

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