La reconversion genevoise d’un gourou
Steven Markovitz, ex-trader de hedge fund qui a été jugé et exclu des professions financières aux Etats-Unis en 2007 après avoir effectué du «post-trading», est depuis dix ans stratégiste chez LGIP. Ses algorithmes tentent d’éviter les biais comportementa
Steven Markovitz, ex-trader de hedge fund qui a été condamné pour «post-trading» par la SEC en 2007, est depuis dix ans stratégiste chez LGIP à Genève et développe un modèle quantitatif performant.
Steven Markovitz est un gourou de la finance, un ex-trader de hedge fund qui est né et a grandi à New York avant d’arriver à Genève en 2007 pour participer au lancement de LGIP. Tandis que de nombreux hedge funds n’ont pas survécu à la crise, la start-up genevoise a connu une forte croissance, grâce aux modèles développés par Steven Markovitz.
Mais reprenons depuis le début. «De coeur, je suis un scientifique, chimiste de formation», déclare Steven Markovitz lors d’une récente interview, à Zurich, la première depuis qu’il est en Suisse.
Sa carrière a débuté au sein du groupe allemand BASF, dans un laboratoire, avant de bifurquer vers la programmation et l’industrie des logiciels pour les banques, puis la finance, au sein de Deutsche Bank, Bankers Trust et enfin du hedge fund Millennium Partners. En 2003, sa carrière dans la finance américaine prend fin. Après qu’il a effectué du négoce après la clôture sur la base des cours du jour des fonds de placement, une enquête est menée durant quatre ans par la SEC et le célèbre procureur Eliot Spitzer, le jugement est rendu en 2007 et le cas est clos en 2008. Steven Markovitz est alors exclu des professions financières aux Etats-Unis et le hedge fund Millennium paie une amende de 180 millions de dollars à la SEC. L’amende payée par Steven Markovitz n’est pas publiée. «Genève m’a choisi»
Steven Markovitz s’envole alors vers Genève pour commencer une nouvelle vie. «Genève m’a choisi plutôt que l’inverse. C’est arrivé par hasard et non pas à la suite d’une longue analyse. Mon associé, Guner Turkmen (directeur général), avait grandi au bout du lac», indique-t-il. Tous deux lancent LGIP en 2007, un gérant d’actifs, et leur premier fonds en avril 2008. Steven Markovitz n’est toutefois pas actionnaire de la société mais conseiller stratégique. Son arrivée en Suisse est donc survenue avant que les autorités ne tentent d’attirer les grands gérants de hedge funds. Les débuts étaient éprouvants, se rappelle le stratégiste. Les journées étaient longues au bureau, occupées aussi bien à faire fonctionner l’informatique qu’à équiper la start-up. Sa famille ne le rejoindra que plus tard.
Après des débuts avec deux emplois et demi et 20 millions de dollars d’actifs, LGIP profite de son savoir-faire dans les modèles mathématiques pour la finance, en particulier de son approche systématique de contrôle du risque. «Notre fonds diversifié, basé aux îles Caïmans, a été l’un des rares à présenter une performance positive durant l’année 2008, celle de la crise», déclare-t-il.
Le retour du passé
Le passé américain n’est bien sûr pas oublié. «Des investisseurs institutionnels sont parfois réticents à souscrire dans les fonds à cause du passé», note-t-il. Lors de notre entretien, Steven Markovitz insiste sur le fait que «l’affaire date de plus d’une décennie et elle est réglée». LGIP est régulée par la Finma, «mon cas est résolu et l’avenir de LGIP, ainsi que le mien, sont en Suisse», conclut-il.
Aujourd’hui, LGIP a pris une taille conséquente sous l’effet de sa performance ainsi que grâce à sa capacité à attirer des actifs. «La société gère plus de 700 millions de dollars avec 15 employés», indique Guner Turkmen, directeur général de LGIP, à Zurich lors d’une présentation aux investisseurs.
L’un des fonds de LGIP est disponible aux petits investisseurs. Il s’agit d’un fonds obligataire basé au Luxembourg (fonds UCITS) qui a pour originalité d’employer des techniques rencontrées habituellement dans les fonds en actions. «Son rendement atteint 1,5% en 2018, ce qui est meilleur que la moyenne dans un contexte hostile aux produits obligataires puisque aucun segment obligataire n’est positif cette année», révèle Steven Markovitz.
Le fonds investit dans ce que l’on nomme un «facteur de risque», en l’occurrence le «momentum». La composition du portefeuille est établie de manière à profiter de la tendance des différents marchés obligataires. Aujourd’hui, «il est haussier sur les obligations du Trésor américain, sur la dette émergente en monnaies locales, mais il comprend une forte proportion de cash (40 à 50%)», indique Steven Markovitz.
Pour un spécialiste des hedge funds désirant garder l’anonymat, «l’approche consistant à utiliser les techniques des actions pour les obligations est intéressante. La question sera de savoir comment il réagit lors d’une éventuelle crise. Il faut aussi que ce produit obtienne une taille suffisante pour attirer les institutionnels».
Afin d’éviter les biais comportementaux des investisseurs, ce fonds comporte deux contraintes qui limitent le risque de baisse. La volatilité est plafonnée et la liquidité est optimisée. Ce dernier point est crucial dans les obligations, car ces dernières années, les traders des grandes banques d’investissement se sont faits de plus en plus rares et la liquidité s’est réduite.
La liquidité peut être définie de différentes manières. Pour Steven Markovitz, elle se définit comme un processus, celui d’évaluer comment vendre un actif financier et à quel prix lorsqu’on y est forcé par les circonstances. La définition habituelle est différente. Il s’agit plus simplement de la capacité à vendre ou acheter un titre. LGIP déclare «obtenir la liquidité de son fonds grâce aux ETF et à d’autres fonds obligataires».
LGIP fait confiance aux stratégies dites quantitatives, affirme Steven Markovitz. LGIP ne s’inscrit toutefois pas dans la lignée des gérants qui accordent une confiance aveugle aux «machines». La société préfère une voie «médiane». «D’ailleurs les modèles quantitatifs ne sont pas exempts d’erreurs», note le stratégiste. Il est très rare qu’ils puissent anticiper durablement le comportement du marché. «Même quand une corrélation, correcte sur le plan statistique, existe entre deux variables, il est imprudent de la prendre pour règle lorsqu’elle ne découle pas d’une logique économique», avance Steven Markovitz. L’échec peut se produire, mais «parvenir à accepter le fait qu’un modèle ne fonctionne pas vraiment de manière satisfaisante constitue en soi un succès», indique-t-il.
Eviter les baisses significatives
A la fin 2018, les objectifs de LGIP et de Steven Markovitz sont identiques à ceux d’il y a dix ans à la création de la start-up. «Je me regarde dans le miroir et je me demande ce qui me passionne le plus. Aujourd’hui, c’est d’être actif dans les marchés et de permettre aux clients de LGIP de gagner de l’argent», indique-t-il.
Le fonds qui a été lancé il y a dix ans a gagné de l’argent en 2008, durant la baisse du début 2009, et de façon constante durant toutes les années suivantes. En une décennie, la plus forte baisse (drawdown) a été de 5%. «J’aimerais présenter la même performance ces dix prochaines années», dit-il. «Mais c’est dur de gagner de l’argent. Nous nous battons contre les meilleurs talents du monde. C’est le défi le plus difficile à relever», conclut-il.
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«Genève m’a choisi plutôt que l’inverse. C’est arrivé par hasard et non pas à la suite d’une longue analyse»