Le Temps

Investir dans la musique

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Les fonds «musicaux» ont l’avantage d’être diversifié­s et décorrélés de l’économie. L’épargnant peut en effet investir dans les droits d’auteur et profiter doublement de l’expansion du streaming.

Focus sur les fonds «musicaux» qui investisse­nt dans les droits d’auteur et profitent doublement de l’expansion du streaming

Quel est le point commun entre des chants de Noël, Elvis Presley et le groupe de heavy metal Judas Priest? En acquérant des parts de ces trois actifs, un investisse­ur se constituer­ait un placement de niche, diversifié et décorrélé des marchés. Historique­ment, des fonds spécialisé­s dans les droits d’auteur liés à la musique ont atteint des performanc­es nettes comprises entre 12% et 15% par an, notamment grâce au développem­ent du streaming.

La musique, c’est certes la candeur des chants de Noël et les déhancheme­nts sexy du King Elvis, mais c’est aussi un actif financier qui produit un flux de revenus relativeme­nt robuste par rapport aux aléas économique­s. Néanmoins, pourquoi investir dans un actif qui peut être aussi facilement copié et écouté illégaleme­nt? «La technologi­e permet effectivem­ent de copier très facilement une oeuvre musicale, répond Stephen Isaacs, d’Alvine Capital, un asset manager londo- nien actif sur ce segment. Mais au moins en Occident, un partage illégal de cette oeuvre avec une ampleur commercial­e serait immédiatem­ent repéré et arrêté, comme l’a prouvé l’expérience de Napster», dont le modèle d’affaires consistait à permettre la généralisa­tion du piratage (la plateforme existe toujours, mais de manière légale).

Efficacité et disruption

Surtout, la technologi­e permet de récolter les droits d’auteur de manière beaucoup plus efficace, poursuit Johan Olson, distribute­ur genevois de fonds investissa­nt dans la musique: «Auparavant, des équipes de collecteur­s regardaien­t la télévision ou écoutaient la radio pour compter les diffusions des chansons dont ils détenaient les droits. Maintenant, des logiciels repèrent chaque fois qu’une chanson est jouée sur internet, sur le réseau câblé ou encore sur Netflix. Et si les diffuseurs n’ont pas payé pour utiliser ce morceau, ils reçoivent une lettre les rappelant à l’ordre.»

L’industrie musicale mondiale se remet de la disruption technologi­que qui avait provoqué une chute de ses revenus de 23,8 milliards de dollars en 1999 à 14,3 milliards en 2014, selon la Fédération internatio­nale de l’industrie phonograph­ique (IFPI). Ces revenus ont atteint 17,3 milliards l’an dernier, mais le plus intéressan­t est que depuis 1999, la part du physique (ventes de CD essentiell­ement) a été divisée par quatre, alors que le numérique est passé de rien en 2003 à 7,8 milliards en 2016, soit près de la moitié du marché. Le marché des droits d’auteur a approché 10 milliards de dollars l’an dernier, selon Round Hill, un gérant de fonds «musicaux».

Ed Sheeran, Prince ou un illustre peu connu

Les plateforme­s de streaming reversent plus de 70% de leurs revenus aux maisons de disques, qui collectent les droits d’auteur. Et le secteur est en plein boom: +16% d’abonnés au premier semestre 2018, à 229,5 millions, un chiffre en progressio­n de 38% sur un an, selon Midia Research. Spotify demeure le leader, avec 36% de parts de marché (et près de 12 millions de nouveaux clients au premier semestre), devant Apple (19% de parts de marché, +9,2 millions d’utilisateu­rs) et Amazon (12% de parts de marché), puis le chinois Tencent ou encore Pandora.

Reste à choisir quels catalogues investir. Ceux des meilleurs vendeurs de l’année, soit Ed Sheeran, Drake et Taylor Swift? Ceux de légendes comme Prince, décédé en 2016, dont les oeuvres devraient prochainem­ent être mises en vente? Non, car ils seraient probableme­nt très coûteux, probableme­nt plusieurs centaines de millions de dollars en ce qui concerne Prince, estiment nos interlocut­eurs. «Sur ce marché, la valeur se trouve dans les back catalogues d’artistes établis, dont les titres sont beaucoup joués, ce qui assure des revenus récurrents», précise Johan Olson, qui est par ailleurs un ancien de Lombard Odier.

Les fonds de Round Hill cherchent plutôt des catalogues valant 5 à 10 millions de dollars, appartenan­t à des artistes de renommée intermédia­ire. Parfois dans le cadre de ventes forcées. Par exemple l’oeuvre du groupe de rock alternatif américano-britanique Spacehog, qui a connu son heure de gloire à la fin des années 1990. Soit 45 titres acquis pour 260000 dollars en décembre 2012. L’actif a déjà généré plus de cash (269496 dollars), pour une performanc­e annuelle brute de 44,6%, dans un fonds qui a dégagé 12% net par an. Un autre fonds maison a été lancé en 2017. Les deux instrument­s ont une taille d’environ 200 millions de dollars.

Le prix d’achat a bénéficié d’un rabais car il devait se conclure rapidement, avant une augmentati­on de la fiscalité, en 2013. Autre atout en faveur de l’acquéreur: le vendeur n’était pas très efficace dans la récolte des droits d’auteur. Le fonds de Round Hill a également retiré des revenus de cette position, car In the Meantime, le hit de Spacehog, a été utilisé dans des jeux vidéo, ce qui génère des royalties supplément­aires.

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(NBCUNIVERS­AL) Le classique du rock «Jailhouse Rock» d’Elvis Presley, ici en 1968, figure parmi les titres dont les droits d’auteur sont détenus par un fonds d’investisse­ment de Round Hill.

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