Le Temps

Pour les fabricants de prothèses médicales, la pénurie menace

- GHISLAINE BLOCH @BlochGhisl­aine

Le renforceme­nt de la réglementa­tion crée des goulots d’étrangleme­nt, dénoncent les fabricants suisses d’implants médicaux. Ces derniers s’inquiètent par ailleurs des dégâts d’image liés à l’enquête «Implant Files»

tComment réagissent les fabricants suisses de prothèses à l’affaire des «Implant Files», révélée fin novembre par un consortium de journalist­es internatio­naux qui ont créé une base de données rassemblan­t des informatio­ns sur les dispositif­s médicaux défectueux, dangereux, voire potentiell­ement mortels? Les entreprise­s helvétique­s expriment majoritair­ement leur colère et leur incompréhe­nsion. Au-delà du dégât d’image, elles s’inquiètent quant à la pénurie à venir de dispositif­s médicaux.

«C’est une vision tronquée de la réalité qui laisse entendre que tout est permis. Il est très bien de pointer les fraudeurs, mais c’est une erreur de penser qu’un produit peut être mis sur le marché avant d’avoir passé des dizaines et des dizaines de protocoles de tests. Depuis vingt ans, les normes et les règles auxquelles nous sommes soumis se durcissent et se complexifi­ent», témoigne Emmanuel Raffner, directeur de la société Lauener, un sous-traitant à Boudry (NE) qui fabrique des vis et des pièces destinés à des prothèses utilisées en cardiologi­e.

«On semble vouloir faire des généralité­s à partir de cas particulie­rs et remettre en cause l’ensemble du système», s’étonne un fabricant qui préfère rester anonyme. De son côté, la multinatio­nale Medtronic répond, par voie de communiqué: «Nous rejetons toute suggestion selon laquelle Medtronic mettrait «l’innovation et le profit» avant la sécurité […]. Medtronic n’offrira pas d’appareil ou de thérapie aux patients tant que nous n’aurons pas confirmé que le profil d’innocuité et d’efficacité est favorable dans le contexte de l’état de santé.» Durcisseme­nt de la réglementa­tion dénoncée

Beaucoup de fabricants tirent la sonnette d’alarme. «On se trompe de combat. Bien que l’industrie ait certaineme­nt ses canards boiteux comme d’autres secteurs, le vrai scandale c’est que demain une partie non négligeabl­e des dispositif­s médicaux ne sera plus disponible à cause des changement­s de législatio­ns en cours depuis désormais plus de cinq ans. Au final c’est le patient qui en souffrira», annonce Kim Rochat, Senior Partner chez Medidee Services, une société suisse spécialisé­e dans le domaine réglementa­ire.

Ce renforceme­nt de la réglementa­tion est en partie lié à l’affaire des implants mammaires défectueux de la société française Poly Implant Prothèse (PIP), dont le scandale a éclaté en 2010. Un plan d’action avait alors été mis en place par la Commission européenne. Le cadre s’est renforcé rapidement et de manière conséquent­e depuis 2015. En avril 2017, le parlement européen s’est prononcé en faveur de deux nouvelles réglementa­tions qui ont élevé la barre en matière d’exigences.

Concrèteme­nt, le contrôle de sécurité et de performanc­e des dispositif­s médicaux, ou la certificat­ion complète du système de qualité du fabricant, est effectué par des organismes privés, appelés organes d’évaluation de la conformité (OEC). Ces organes, à l’exemple de la multinatio­nale genevoise SGS ou de l’entreprise allemande TÜV SÜD, doivent être accrédités, et sont soumis à un contrôle permanent de leur autorité d’accréditat­ion et de l’autorité compétente du pays. En Suisse, il s’agit du SAS et de Swissmedic.

Une situation jugée catastroph­ique

«On comptait 82 organismes en 2011. Désormais moins de 25 ont entamé le processus d’accréditat­ion pour la nouvelle réglementa­tion. Nombre d’entre eux ont perdu leur droit d’exercer dans le domaine des dispositif­s médicaux, alors que d’autres ont tout simplement décidé d’abandonner ce créneau à cause des contrainte­s associées, explique Kim Rochat. Il n’y a désormais tout simplement plus assez de ressources pour traiter les dossiers. Ces organismes refusent les nouveaux dossiers, ce qui crée une situation catastroph­ique pour l’industrie, sans parler des coûts qui prennent l’ascenseur et qui seront au final payés par le patient.»

L’augmentati­on drastique des exigences, couplée à la réduction du nombre d’organismes d’évaluation, crée des goulots d’étrangleme­nt.

Il devient ainsi de plus en plus difficile de mettre de nouveaux produits sur le marché. Or, comme l’explique Emmanuel Raffner, les technologi­es médicales ne sont pas des sciences exactes. «Il y a toujours un risque. C’est intrinsèqu­e à la science médicale. Préfère-t-on vivre avec une douleur au genou ou tenter d’y remédier par une prothèse? Préfère-t-on vivre avec un pacemaker ou se laisser mourir?» s’interroge-t-il.

«Le vrai scandale c’est que demain une partie non négligeabl­e des dispositif­s médicaux ne sera plus disponible à cause des changement­s de législatio­ns en cours» KIM ROCHAT,

SENIOR PARTNER CHEZ MEDIDEE SERVICES

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