Adieu à Andreas Auer
L’avocat genevois Lucio Amoruso, ancien assistant de professeur de droit décédé vendredi, rend hommage à celui qui était devenu son ami
Je ne savais pas, en 1980, assistant du professeur Andreas Auer, que j’aurais le privilège de rencontrer non seulement un magnifique professeur, un formidable culbuteur d’idées, un espiègle charmeur, mais aussi un ami.
Dans l’auditoire Piaget, autant d’étudiants que de trépidation; l’un d’eux s’adresse à un jeune, qui marche vite et semble en savoir plus que lui: «Est-ce que tu as vu le professeur Auer?» Le jeune de lui répondre: «Oui, c’est moi.» Car ce professeur atypique marchait vite, pensait vite, agissait parfois vite. Et s’il agissait lentement, c’était signe qu’il était en train de penser très vite. Je l’ai vu écrire une conférence, et la faire traduire, durant un vol de deux heures. Constamment à l’écoute des autres, car soucieux d’élargir sans cesse ses horizons scientifiques, autant que culinaires, musicaux, artistiques. Et c’est ainsi qu’il m’a été donné d’assister, au cours des séminaires internes, à des débats inoubliables sur la règle de droit; passionnés sur l’origine et l’importance pour la Constitution suisse de maintenir des mécanismes de démocratie directe comme contre-pouvoir du peuple souverain; infinis sur l’interdiction de soumettre les lois fédérales au contrôle de constitutionnalité du Tribunal fédéral.
Andreas réfléchissait, puis agissait, en marcheur de montagne qu’il était. Une marche à la fois très minutieuse, et pourtant dynamique; une marche calme, mais empreinte d’impatience. Une marche dirigée, mais souvent buissonnière. Car Andreas Auer, qui a enseigné le droit constitutionnel toute sa vie, était en réalité hors norme. A l’instar d’Obélix, ce n’était pas de sa faute: il était tombé dedans quand il était encore au berceau! Et donc cette réflexion en marche bouillonnante, qui faisait tout à tour dialoguer Kelsen avec Tocqueville, qui parvenait à comparer Gramsci, Marx et Engels à Cherbuliez ou Schindler, ou même un graffiti sur un immeuble, dans son rapport remarqué sur la démocratie à la Société suisse des juristes, en ébouriffait plus d’un, décoiffait les autres, et surprenait jusqu’à ses propres admirateurs!
Aux uns et aux autres, toute sa vie, il a répondu par ce sourire dévastateur: rieur, gage de futures empoignades riches, car constructives. Un sourire qui se retrouvait dans sa pensée, dans son action, dans sa relation avec les autres. Victime de ce sourire, c’est ainsi qu’Andreas Auer, professeur de droit à la Faculté de Genève, qui intriguait, agaçait, provoquait en affrontant le débat d’idées, a suscité à Genève, puis en Suisse, puis à l’étranger, l’intérêt des opérateurs du droit de l’Etat, et des institutions démocratiques, qui se sont adressés à cet inlassable curieux, pour recourir à son analyse, et à sa créativité.
Andreas Auer a toujours donné, à tous ceux qui ont eu la chance et le plaisir de croiser sa présence, son regard affûté, son écriture. Il laisse aux générations futures des ouvrages, encore riches de contenus. Il laisse des émules, dans les universités notamment. Il laisse des amis, et une famille, tous enrichis par les moments, les débats, les soirées et les voyages vécus ensemble.
De tout coeur, merci. Va l’ami et bonne route!n