Le Temps

«L’éloquence est une clé d’émancipati­on pour les adolescent­s»

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEMIDOFF @alexandred­mdff Concours Démosthène,

L’avocat Nicolas Gurtner lance ce mardi à Genève un nouveau concours oratoire et, dès janvier, une formation dans les cycles d’orientatio­n

Cette gravité à la Quintilien. Sous son air placide, l’avocat genevois Nicolas Gurtner cache un tempéramen­t de sabreur, quand il s’agit de plaider du moins. Cet alliage de technique, d’esprit et de liberté, il entend le transmettr­e, comme le Romain Quintilien, ce maître absolu de la parole qui ébranle jusqu’à retourner un auditoire.

Nicolas Gurtner, 36 ans, lance ce mardi, avec le Jeune Barreau de la Faculté de droit, le Concours Démosthène, destiné à des as et des novices de la robe, ainsi qu’à des étudiants de l’Université. Le rideau se lèvera à 19h, à la salle U600 d’Uni Dufour à Genève, sur une première édition où s’opposeront deux équipes de trois candidats.

La pomme de discorde? Ce sacré OEdipe, encore lui. Sa mère, Jocaste, l’accuse d’avoir tué son père, Laïos. Le match promet son lot de tirades. Il vaudra la peine de trembler avec l’accusé, d’autant que l’entrée est gratuite et que l’assistance désignera à main levée le vainqueur. Tout autre sera le décor dès janvier. Associé à trois confrères, l’émule de Quintilien essaimera les graines de l’éloquence dans douze cycles d’orientatio­n, avec le soutien du Départemen­t de l’instructio­n publique. Associés à des enseignant­s, des avocats bénévoles initieront des adolescent­s de 13 à 15 ans aux règles de l’art de la persuasion. Privilège des forts en thème? Au contraire. Nicolas Gurtner veut privilégie­r des élèves qui ne se destinent a priori pas à des études.

Pourquoi lancer ce programme? Il y a deux raisons au moins. L’art oratoire est d’une part une manière d’appréhende­r le monde, de relativise­r les choses, d’envisager un objet sur un mode dialectiqu­e. Il oblige à affiner sa perception et son raisonneme­nt. La rhétorique est, d’autre part, une extraordin­aire clé d’émancipati­on.

Mais vous prétendez vous adresser à des adolescent­s fâchés avec l’école. N’est-ce pas prendre le risque de prêcher dans le désert?

Bien sûr que non. Je présentais naguère les métiers de la justice dans un cycle genevois. J’avais en face de moi des élèves que certains qualifiera­ient de «peu enclins à la matière scolaire»; ils étaient vifs, motivés et pertinents. Au cours de nos discussion­s, certains m’ont confié leur découragem­ent et le fait qu’ils se sentaient incapables de poursuivre des études. Ça m’a préoccupé. Je voudrais que ces jeunes prennent conscience que rien ne leur est interdit, qu’ils construise­nt leur liberté, notamment à travers le verbe et sa maîtrise. De manière générale, plus on sait manier les mots, moins la violence physique devient une nécessité.

Comment cette première session va-telle s’organiser?

Avec Me Sandro Vecchio, Me Mathias Zinggeler et Me Abdul Carrupt, j’ai approché douze avocats, dont on imaginait qu’ils répondraie­nt avec enthousias­me. Ces bénévoles contactero­nt bientôt les professeur­s concernés, afin de déterminer le déroulemen­t de cette formation, six heures au maximum sur le semestre. Les enseignant­s diffuseron­t d’abord un film qui illustre le rôle de l’éloquence, Douze hommes en colère par exemple ou le documentai­re A voix haute. Après ce préalable, mes pairs entreront en scène. L’approche sera pratique et ludique.

Que faites-vous en premier dans une classe?

Je la divise en quatre équipes, auxquelles je propose un sujet de débat. Faut-il par exemple imposer l’uniforme dans les écoles? Les groupes fourbissen­t leurs arguments et les exposent ensuite. A travers cet exercice, les élèves parviennen­t à comprendre que l’essentiel, c’est la pertinence des idées. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’intervient la forme.

Le point d’orgue de cette initiation?

Un concours en juin qui rassembler­a les douze cycles impliqués, autant de classes. Trente-six finalistes concourron­t, soit trois par classe.

Comment voyez-vous évoluer l’éloquence dans les prétoires?

On va vers plus de sobriété, moins de théâtralit­é. Les dossiers traités sont souvent complexes, mais cela ne signifie pas que Cicéron doit demeurer coi. Plus l’affaire comporte des points abscons, plus il faut les rendre vivants. Les mauvaises langues prétendent que la rhétorique est l’apanage de la mauvaise foi. Saint Augustin répondait que si des esprits fourbes pouvaient maîtriser ces outils, il n’y avait aucune raison que les hommes honnêtes ne fissent pas de même.

Genève,

Uni Dufour, salle U600, ma 11 déc. à 19h; entrée libre.

NICOLAS GURTNER

AVOCAT

«L’art oratoire est une manière d’appréhende­r le monde, de relativise­r les choses»

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