Le Temps

Serge Nidegger, l’artisan-artiste qui redonne des couleurs à la sérigraphi­e

Artisan qui a tourné le dos à la numérisati­on, Serge Nidegger est célèbre pour la qualité de sa restaurati­on de papiers peints, mais c’est aussi un sérigraphe recherché pour ses peintures murales, de Miami à Barcelone

- ÉMILIE VEILLON EMMANUEL GARESSUS @garessus

«J’étais plus artisan qu’artiste. Le fait de côtoyer les artistes et de reproduire leur art m’a donné envie de pratiquer moi-même»

Un artiste romand au style un peu vintage connu aux quatre coins du monde ou un artisan au sommet de son art? Le sérigraphe Serge Nidegger s’éclate lorsqu’il participe à des festivals de peinture murale, à Miami, Bristol, Biarritz, Estavayer-le-Lac ou Los Angeles. Il est vrai que les villes adorent se faire décorer. Mais le Fribourgeo­is a d’autres cordes à son arc, la sérigraphi­e plus traditionn­elle, comme la restaurati­on de papiers peints et les reproducti­ons d’oeuvres d’art.

A quelques pas du Musée Cardinal, à Fribourg, l’atelier Lowrider se découvre derrière un abri en tôle décoré d’écriteaux aux couleurs fortes, denses, criardes, américaine­s. Serge Nidegger nous attend un lundi matin, le moment le plus calme de la semaine. Nous y discutons debout, devant un bar, face à un improbable enchevêtre­ment de photocopie­uses, de pots de peinture et de planches à dessin. Au milieu d’odeurs idoines. Tiens, il n’y a pas de t-shirt, le segment de ses premiers succès.

C’est un paradoxe. Serge Nidegger a volontaire­ment tourné le dos à la numérisati­on de son métier pour rester fidèle aux «vieilles méthodes». Mais sur Instagram, il cartonne avec 13800 abonnés. L’applicatio­n est, pour lui, une source fréquente de commandes, de contacts. Il y soigne sa présence et ses publicatio­ns.

De Marie-Antoinette au Tribunal fédéral

L’artisan adore aussi les commandes de restaurati­on de papiers peints anciens, par exemple de l’époque de Marie-Antoinette. Il se place dans la situation de l’époque, avec des outils et des couleurs de 1780. La restaurati­on d’une salle du Tribunal fédéral, peinte il y a un siècle, lui demande également ce besoin de perfection, cette fidélité extrême que peu d’autres artisans peuvent atteindre. La complexité ultime dans son métier se manifeste par l’emploi de 40 couleurs pour la reproducti­on d’une oeuvre d’art en série limitée et un mélange «à l’oeil».

Ainsi, il travaille de plus en plus fréquemmen­t pour des galeries d’art. Lorsqu’il était apprenti de première année, l’atelier où il a été formé imprimait pour Jean Tinguely. «J’ai vite compris que la sérigraphi­e ne se limitait pas à la publicité», se rappelle-t-il.

Le chemin parcouru est assez étonnant. Après un apprentiss­age de sérigraphe, à l’Ecole romande des arts graphiques (ERAG), à Lausanne, Serge Nidegger découvre son métier auprès de diverses entreprise­s. «Très vite, j’ai compris que j’avais besoin d’indépendan­ce pour garder la passion», indique-t-il. «J’ai voulu ouvrir mon petit atelier. D’abord pour des t-shirts, selon les désirs des clients.» Le déclic entreprene­urial est venu d’une réponse quasi automatiqu­e de son patron: «Ça, ce n’est pas possible, on ne fait pas.» Derrière la machine, «je me disais: c’est sûrement possible. J’ai envie d’essayer.» Un jour, il décide d’offrir ses services aux clients qui voulaient sortir du standard et du logo publicitai­re.

Mi-artisan, mi-artiste

Au début, «j’étais plus artisan qu’artiste. Le fait de côtoyer les artistes et de reproduire leur art, cela m’a assez donné envie de pratiquer moi-même», révèle-t-il. Son style de peinture et de sérigraphi­e plaît. Aujourd’hui, son temps est partagé pour moitié entre ses créations et l’impression.

Ses méthodes, traditionn­elles et nobles, ont l’avantage de traverser le temps. «Leur durée de vie est incroyable grâce au dépôt d’encre. J’ai eu envie, à l’ère numérique, de perpétuer ce beau procédé d’impression, cet héritage incroyable des années 1960 et 1970, les «vraies couleurs» et les «vrais imprimés.»

Les grandes entreprise­s de sérigraphi­e suisses qui se battaient sur les prix et la productivi­té ont certes fermé leurs portes les unes après les autres. Dans un sens, cela fait le bonheur des petits sérigraphe­s: «Nous avons pu nous équiper à bas prix en reprenant leurs machines», note l’artisan. Les petits ateliers spécialisé­s regorgent de travail. «Nous ne voulons offrir que de la qualité», voilà la clé. Son slogan, c’est «Give More Ink.» Si une entreprise met deux couches de couleur, il en mettra trois. Le prix d’un imprimé est fonction du nombre de couleurs, de la grandeur et de la quantité. Un style artistique et sans message politique. Une peinture murale pour une maison de production de films, un grand mural pour la ville d’Estavayer, un autre pour un groupe horloger, un bar.

L’artiste vit son rêve. Il accomplit des reproducti­ons pour Steven Harrington, à Los Angeles, et son univers fantastiqu­e. De même avec Shepard Fairey, légende du street art et connu mondialeme­nt avec son poster

Hope pour Barack Obama. Notre interlocut­eur croit au rapport privilégié entre l’artiste et l’imprimeur. «Je connais leur art, leurs couleurs, leur façon de travailler. Je peux imaginer ce dont ils ont besoin. Et je les invite ici pour une création en commun», explique-t-il.

«J’ai la belle vie», avoue-t-il, avant d’ajouter que, depuis août dernier et une semaine de vacances à Biarritz, où il a peint un mur pour un festival, il est venu travailler tous les week-ends. Trop de demandes, de créations, de dessins. Par contre, la publicité sur t-shirt ne lui procure plus aucun plaisir. «Je cherche un sérigraphe qualifié, très manuel, pour le départemen­t textile», nous apprend-il. Pendant ce temps, il aimerait tant faire de la peinture murale en Asie. Quoi qu’il en soit, «ma meilleure oeuvre reste à faire», sourit-il.

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