Veto européen à la fusion Siemens-Alstom
La Commission européenne a rejeté le projet de fusion entre les deux grands constructeurs de trains. Paris et Berlin ont dénoncé cette décision. Ils demandent une révision des règles communautaires face aux mastodontes américains et chinois
La Commission européenne a mis son veto à la fusion des deux géants du rail Alstom et Siemens, qui aurait «porté atteinte à la concurrence sur les marchés». La France et l’Allemagne regrettent cette interdiction, évoquant la menace de la concurrence chinoise représentée par CRRC, le plus gros constructeur mondial, déjà actif dans 102 pays et dont les revenus dépassent les 30 milliards de francs. Bruno Le Maire, ministre français de l’Economie, a qualifié cette décision d’«erreur économique».
L’idée de créer des champions européens capables de faire face aux mastodontes américains et chinois vient de gagner du terrain. Le sujet est revenu mercredi sur la table suite au veto qu’a opposé Bruxelles au mariage ferroviaire entre le français Alstom et l’allemand Siemens.
Tant Paris que Berlin ont dénoncé ce rejet d’une fusion annoncée en septembre 2017 et destinée à créer un champion européen, avec un chiffre d’affaires de 15 milliards d’euros par année. Le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, qui avait anticipé la décision de la Commission européenne, a parlé de «faute politique» qui «va servir les intérêts économiques de la Chine». La secrétaire d’Etat à l’Economie, Agnès Pannier-Runacher, a estimé que le veto de Bruxelles était «complètement à côté de la plaque» et jugé «nécessaire de faire évoluer les règles en matière de concurrence en Europe».
«Nous sommes convaincus que nous devons repenser et modifier les règles européennes de la concurrence», a renchéri Peter Altmaier, ministre allemand de l’Economie, qui a annoncé la préparation d’une initiative franco-allemande, sans donner plus de détails. Et de poursuivre: «Cette décision de Bruxelles est regrettable mais elle nous encourage à continuer à travailler pour une telle solution. Il est crucial de rendre possibles les futures fusions, nécessaires à la compétitivité de l’Europe sur les marchés internationaux.»
Toujours en Allemagne, le patron de Siemens, Joe Kaeser, n’a pas caché sa déception. Dans un communiqué, il a dénoncé «une Europe qui ne serait pas à la hauteur. Protéger les intérêts des clients localement ne signifie pas se priver d’être sur un pied d’égalité avec des pays leaders comme la Chine et les Etats-Unis.»
En réalité, les partisans de la fusion ont jeté la pierre sur la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager. Largement appréciée jusque-là pour son intransigeance vis-à-vis des entreprises américaines qu’elle a amendées pour concurrence déloyale, elle vient de se mettre à dos les deux pays moteurs de l’Union européenne (UE).
Pas une machine à mettre les bâtons dans les roues
L’ancienne ministre danoise a répliqué mercredi qu’une fusion Alstom-Siemens aurait donné une position dominante à la nouvelle entité et aurait posé des problèmes de concurrence. «Les utilisateurs des trains seraient pénalisés par des prix plus élevés, a-t-elle ajouté. En tant qu’une seule entité, elle serait moins motivée à investir dans l’innovation.» Margrethe Vestager a tenu à assurer que la Commission, qui dispose d’un droit de veto sur les grands projets de fusions depuis 1989, n’est pas une machine à mettre les bâtons dans les roues. En près de trente ans, elle a donné le feu vert à plus de 6000 projets de fusions/acquisitions et n’en a bloqué qu’une trentaine. Depuis le début de son mandat fin 2014, elle n’en a interdit que trois.
En réalité, à Berlin comme à Paris, les responsables politiques et économiques ont accusé la Commission de ne pas prendre en compte la concurrence de la CRRC, le géant chinois du rail, qui se positionne comme un nouvel acteur sur le marché international. Peter Altmaier a demandé qu’une telle décision ne repose pas uniquement sur des règles européennes, mais tienne aussi compte du marché international. «N’y a-t-il pas des domaines tels que l’aviation, les chemins de fer, les banques où vous devez prendre le marché mondial comme référence plutôt que l’européen?» a-t-il lancé mercredi. La veille, le ministre allemand avait annoncé de possibles participations d’Etat dans des entreprises allemandes afin de faire barrage aux acquisitions par des investisseurs étrangers.
La commissaire à la Concurrence a rejeté l’idée d’une Chine envahissante dans l’industrie ferroviaire. «Vous ne pouvez pas être un concurrent sur le marché international si vous n’êtes pas exposés à la concurrence chez vous», a-t-elle d’abord répondu lors de son point de presse. Selon elle, la menace chinoise n’est pas près de se concrétiser en Europe. «Aucun fournisseur chinois n’a jusqu’à présent participé à une offre publique en Europe pour vendre sa signalisation ou fournir un train à très grande vitesse hors de Chine, a-t-elle relevé. Il n’y a aucune perspective de l’arrivée des Chinois sur le marché européen dans un futur proche.» Margrethe Vestager a aussi fait ressortir que la CRRC concentre 90% de ses activités en Chine.
Satisfaction du géant canadien Bombardier
Pour Damien Neven, professeur à l’Institut des hautes études internationales et du développement et spécialiste en matière de «concurrence» et de «droit européen», le veto se défend. La fusion allait donner de facto une position dominante dans l’industrie ferroviaire en Europe, affirme-t-il. Du point de vue réglementaire, cela n’est pas acceptable.»
L’entreprise suisse Stadler Rail, 11e des constructeurs ferroviaires mondiaux, n’a pas voulu commenter le rejet du projet franco-allemand. En revanche, Bombardier, le géant canadien et 4e mondial, derrière la CRRC, Siemens et Alstom, s’est dit heureux et soulagé. «Une telle opération aurait gravement compromis la santé et la compétitivité de l’ensemble du marché ferroviaire européen», a commenté le groupe.
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«Il est crucial de rendre possibles les futures fusions»
PETER ALTMAIER,
MINISTRE ALLEMAND DE L’ÉCONOMIE
Un train à grande vitesse (TGV) français croise un Intercity-Express (ICE) allemand au-dessus du Rhin.