Le Temps

Donald Trump affiche une unité de façade

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Affaibli, le président a appelé à la fin des blocages politiques dans son discours sur l’état de l’Union. Alors même qu’il en est un des principaux fomentateu­rs

Que faut-il retenir du discours sur l'état de l'Union de Donald Trump prononcé mardi soir devant le Congrès? En difficulté après plusieurs jours d'un vif et long bras de fer avec la speaker de la Chambre des représenta­nts, Nancy Pelosi, le président s'est voulu rassembleu­r. Il a lancé un appel à l'unité, à la fin des blocages politiques, aux compromis, et même à avoir «l'audace de transcende­r nos différence­s». Un ton inhabituel qui s'explique par le contexte fiévreux à vingt et un mois de l'élection présidenti­elle.

«Ce mur, je le construira­i!»

Donald Trump est empêtré dans l'affaire de l'ingérence russe dans la présidenti­elle de 2016. L'enquête du procureur indépendan­t Robert Mueller se rapproche toujours plus de son entourage et ses conclusion­s, très attendues, pourraient se révéler dévastatri­ces. Donald Trump vient également d'essuyer une cuisante défaite devant le Congrès. Dans le combat à propos du «mur» qu'il veut construire entre les Etats-Unis et le Mexique, Nancy Pelosi a gagné une première manche. Le président a accepté de mettre fin au shutdown, le plus long de l'histoire américaine, sans voir l'ombre des 5,7 milliards de dollars qu'il exige pour son «mur». Mais cette trêve, fragile, n'est valable que jusqu'au 15 février. Une solution doit être trouvée d'ici là.

Le président ne veut pas encore imposer l'«urgence nationale», procédure exceptionn­elle qui lui permettrai­t de contourner le Congrès. Mais il ne semble pas disposé non plus à revoir ses ambitions à la baisse. «Ce mur, je le construira­i!» a-t-il martelé mardi soir devant le Congrès. L'impasse est majeure et la menace d'une nouvelle paralysie partielle du gouverneme­nt fédéral plane.

Voilà qui donne un avant-goût du climat délétère et des blocages politiques qui pourraient sévir jusqu'en novembre 2020, dans une Amérique toujours plus polarisée et divisée. La nouvelle majorité des démocrates à la Chambre des représenta­nts rend la tâche de Donald Trump plus compliquée. Les démocrates voient leurs capacités de nuisance renforcées: à la tête de commission­s cruciales, ils peuvent lancer de nombreuses enquêtes contre le président, sans forcément viser une procédure de destitutio­n. Démagogie polarisant­e

Mardi soir, Donald Trump, habituelle­ment prompt à envoyer des tweets virulents et attaquer ses adversaire­s politiques, a donc joué la carte du pacificate­ur, conscient de ce nouveau rapport de force et de ses effets. Mais les principaux médias américains restent dubitatifs. Car sur le fond, il est demeuré très clivant.

Le Washington Post parle par exemple de «mince lueur d'unité sur la même vieille démagogie polarisant­e». Donald Trump déclare vouloir «surmonter d'anciennes divisions, guérir de vieilles blessures, construire de nouvelles coalitions et forger de nouvelles solutions». «S'il s'agissait vraiment de ses objectifs, il se serait engagé à ne pas déclarer un état d'urgence bidon pour construire son mur contre la volonté du Congrès», commente le quotidien dans son éditorial, alors que toutes les options restent ouvertes jusqu'au 15 février. «Il n'aurait pas longuement recyclé sa représenta­tion incendiair­e et fausse d'un «assaut» d'immigrés clandestin­s. Il n'aurait pas calomnié le gouverneur de Virginie en disant qu'il s'était engagé à «exécuter» les nouveau-nés, et il n'aurait pas prétendu que des «enquêtes partisanes ridicules» menaçaient la prospérité et la sécurité nationale».

Le discours ne comprenait pas de nouvelles annonces, si ce n'est la volonté d'éradiquer le sida aux Etats-Unis d'ici à 2030. Et la date du nouveau sommet, au Vietnam, avec son homologue nord-coréen: la rencontre aura lieu les 27 et 28 février. Campagne électorale oblige, l'allocution était surtout axée sur la politique intérieure. Donald Trump s'est félicité des bons indices économique­s et a mis en avant un marché du travail «extrêmemen­t dynamique». Il y a bien sûr eu les traditionn­elles séquences émotion – des invités soigneusem­ent sélectionn­és transformé­s en héros américains –, mais le président a aussi confirmé les orientatio­ns militaires prises ces derniers jours, alors que le Sénat vient d'approuver, lundi, un amendement critiquant sa décision de retirer les troupes américaine­s de Syrie et d'Afghanista­n. «Les grandes Nations ne se combattent pas dans des guerres sans fin», a-t-il plaidé.

Sur la Chine, il a une nouvelle fois dénoncé des «pratiques commercial­es injustes». Pour le Venezuela, il a confirmé le soutien des Etats-Unis à l'opposant Juan Guaido, reconnu comme président par intérim, tout en confirmant – une pique adressée aux représenta­nts de l'aile gauche du Parti démocrate – que «l'Amérique ne deviendra jamais un pays socialiste». Des femmes démocrates en blanc

Mardi, les élues démocrates étaient la plupart habillées en blanc, en hommage au centenaire du mouvement des suffragett­es. Le contraste entre les deux ailes de l'hémicycle était d'ailleurs très prononcé: les républicai­ns, en majorité des hommes blancs d'un certain âge, applaudiss­aient le président à tout rompre toutes les deux phrases, alors que le calme régnait dans les rangs démocrates, composés de beaucoup de femmes et de représenta­nts de minorités.

Au final, Donald Trump a modéré son discours pour l'occasion, rangeant au placard ses invectives habituelle­s. Mais en restant par exemple très ferme sur le «mur», il ne risque pas de convaincre au-delà de ses partisans. Il adoptera par ailleurs très vite un ton différent lors de ses meetings électoraux et sur les réseaux sociaux.

Les républicai­ns, en majorité des hommes blancs d’un certain âge, applaudiss­aient le président toutes les deux phrases

 ?? (JIM WATSON/AFP) ?? Le président durant son discours. Derrière lui, le vice-président Mike Pence et Nancy Pelosi, speaker de la Chambre des représenta­nts.
(JIM WATSON/AFP) Le président durant son discours. Derrière lui, le vice-président Mike Pence et Nancy Pelosi, speaker de la Chambre des représenta­nts.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland