D’un Bâle à l’autre, des hôpitaux communs?
Bâle-Ville et Bâle-Campagne votent sur une fusion hospitalière. La centralisation relève d’une tendance de fond dans le paysage hospitalier. Les projets récents tentent de ménager les sensibilités de la population en conservant les infrastructures régiona
«A chaque petite vallée son petit hôpital – Jedem Täli sein Spitäli». C’est ainsi que l’on pouvait résumer la situation hospitalière en Suisse dans les années 1980, remarque Conrad Engler, de la faîtière des hôpitaux, H+. Désormais, l’heure est à la centralisation. Et dimanche, les Bâlois pourraient donner un coup d’accélérateur à ce qui apparaît comme une tendance de fond dans le paysage hospitalier suisse: les deux cantons se prononcent sur une fusion entre l’Hôpital universitaire bâlois et l’Hôpital cantonal de Bâle-Campagne en une seule entité. Appelée «Hôpital universitaire du Nord-Ouest SA», elle serait répartie sur quatre sites.
L’argument de poids est économique. En particulier depuis 2012 et l’entrée en vigueur de la réforme du financement des hôpitaux, qui a accentué la concurrence dans le secteur. Dans le cas bâlois, les Départements de la santé des deux cantons estiment que les synergies permettraient des économies annuelles de 70 millions de francs. Autre enjeu: maintenir un taux d’interventions suffisant pour garder la main sur la médecine hautement spécialisée – l’attribution de mandats dépend du nombre de cas traités.
Rien n’est acquis pour les défenseurs de ce projet, qui agite les bords du Rhin depuis des semaines. Mais, pour Conrad Engler, cette discussion est emblématique du «changement structurel» touchant l’ensemble de la branche. «On ne se contente pas de fusionner. La tendance consiste à conserver les infrastructures existantes dans les régions, mais à redistribuer les prestations.»
Ainsi à Bâle, l’imposant bâtiment de Bruderholz – dont le déficit chronique tourmente Bâle-Campagne depuis longtemps – pourrait accueillir un centre spécialisé en orthopédie et renoncer aux urgences et aux prises en charge stationnaires. Un centre spécialisé dans la médecine du sommeil verrait le jour à Laufon. D’autres exemples vont dans le même sens: le complexe hospitalier Soleure SA, créé en 2006, répartit les tâches sur différents sites sur le territoire cantonal. Plus récemment, l’Hôpital de l’Ile à Berne a fusionné avec les hôpitaux régionaux pour former le nouveau groupe Insel Gruppe AG. Voilà dix ans que les hôpitaux cantonaux de Lucerne, Nidwald et Obwald se rapprochent. Il est question d’officialiser le mariage en 2020. Les chiffres de H+ confirment la tendance: entre 2001 et 2015, le nombre d’hôpitaux et de cliniques a diminué de 21%. Les hôpitaux assurant les soins de base sont les plus touchés: ils ont réduit de moitié, passant de 151 à 66 (-56%). En revanche, le nombre d’hôpitaux de soins aigus avec prise en charge centralisée a augmenté de 26 à 40 établissements (+54%). En 2015, la Suisse comptait encore 288 hôpitaux et 37800 lits. Une baisse de 38% par rapport à l’année record de 1982, que la faîtière H+ attribue aux «regroupements, fusions, créations de groupements d’hôpitaux».
En même temps, la population reste attachée à l’hôpital régional, comme l’a encore montré le refus à Neuchâtel, en 2017, d’un projet de centralisation des deux hôpitaux cantonaux. D’après un sondage réalisé par H+ auprès de la population, trois services en particulier doivent rester à proximité: urgences, maternité et ambulatoire. En revanche, les citoyens interrogés se montrent plus enclins que par le passé à réaliser un trajet d’une heure ou davantage pour un traitement chirurgical spécialisé (80%), ou deux heures pour un séjour en hôpital psychiatrique.L’exemple bâlois montre aussi les difficultés auxquelles se heurtent les velléités de fusions, encore accentuées lorsque deux cantons doivent se mettre d’accord. Les opposants les plus déterminés se trouvent dans les rangs de la gauche de Bâle-Ville, qui redoute perte d’emplois et détérioration des conditions de travail, et critique la forme juridique de la future entité hospitalière: une société anonyme, un pas vers une «privatisation» de l’hôpital. Autre pierre d’achoppement: Bâle-Ville doit assurer 66% du capital, tandis que l’apport de Bâle-Campagne se monte à quelque 33%. Pourtant les décisions sont partagées.
«Les innovations vont vite, nous devons rester efficaces, mais cela demande des investissements qui pourraient dépasser les capacités d’un canton de taille moyenne comme Bâle-Ville ou Bâle-Campagne», relève le conseiller d’Etat bâlois responsable de la Santé (BS), Lukas Engelberger, pour défendre son projet. L’élu PDC considère cette fusion comme «un projet d’avenir, non pas pour l’an prochain, mais pour 2030. Dans le domaine de la santé, cantons et communes devront affronter toujours plus de difficultés. Nous souhaitons rester ouverts et permettre à d’autres hôpitaux de nous rejoindre. Une SA facilite cette possibilité. Mais nous avons aussi placé des garde-fous. Les cantons ont l’obligation légale de rester actionnaires majoritaires.»
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Rien n’est acquis pour les défenseurs du projet