Le Temps

La Caisse de pension de l’Etat transforme les députés genevois en charretier­s

- DAVID HAEBERLI @David_Haeberli

L’impossible réforme de la caisse de prévoyance des fonctionna­ires a mis la politique genevoise dans une situation inextricab­le. Un vote complexe se prépare en mai. Un autre se profile en novembre, au risque de perdre le citoyen

L’affaire a le don de faire jurer les plus distingués des députés. La réforme de la Caisse de pension de l’Etat de Genève (CPEG) est soumise à votation le 19 mai prochain. Le peuple tranchera donc cette épineuse question. Sauf que ce dossier n’obéit à aucune logique. Les expression­s qui reviennent en boucle dans la bouche des élus résument crûment la situation: «gros bordel», «vote à la con», «c’est la merde».

Reprenons. Le taux de couverture de la CPEG n’obéit plus aux normes fédérales. Le 1er janvier 2020 au plus tard, la caisse doit rentrer dans le rang. La facture pour le contribuab­le se monte à 4,2 milliards. Le temps presse. Le comité de l’institutio­n n’aura bientôt d’autre choix que de couper dans les prestation­s de ses 45 000 affiliés.

Or, le Grand Conseil a pris des chemins de traverse. Fin 2018, les députés ont voté, à la faveur d’une abstention des Verts, deux projets incompatib­les. Celui du Conseil d’Etat, soutenu par la droite, prévoit un système de primauté des cotisation­s, financées à 58% par les contribuab­les et à 42% par le fonctionna­ire. La gauche et le MCG veulent maintenir la primauté des prestation­s et la charge de l’employeur à 66,7%.

Début 2019, le Conseil d’Etat a présenté quatre scénarios pour débloquer cette situation inédite. Selon toute vraisembla­nce, c’est le premier qui s’appliquera: un vote sur les deux objets le 19 mai, avec l’introducti­on d’une question subsidiair­e pour les départager en cas de double oui. Cette version n’est valable que si les référendum­s lancés dans chaque camp aboutissen­t. On le saura le lundi 11 février. Des deux côtés, on assure que le nombre de signatures nécessaire est atteint. «A la hussarde»

Oui mais voilà, l’extrême gauche a déposé un recours devant la Chambre constituti­onnelle de la Cour de justice: proposer, comme l’a fait le Conseil d’Etat, une question subsidiair­e pour trancher entre deux lois violerait la Constituti­on. «On bidouille les droits politiques», s’insurge Pierre Vanek, d’Ensemble à gauche. Pour le député, le texte que l’exécutif a fait passer «à la hussarde» normaliser­ait le vote, par le parlement, de lois contradict­oires.

Un succès d’Ensemble à gauche annulerait-il le vote du 19 mai? Seule la Chambre constituti­onnelle pourra y répondre. Cela ne réglera pas tout. Le PDC et le PLR ont annoncé mardi le lancement d’un nouveau référendum en lien avec la CPEG. Pour ceux qui ont de la peine à suivre: il s’agit du troisième. Il s’attaque à la loi votée par la gauche et le MCG au Grand Conseil et issue de l’initiative «Sauver les rentes en créant du logement». S’il aboutit, les Genevois pourraient être amenés à se prononcer au mois de novembre.

Imaginons que le scrutin prévu le 19 mai soit maintenu et que le Conseil d’Etat l’emporte. Il faudrait alors expliquer aux Genevois que leur voix de mai comptait pour du beurre et qu’il leur faut revoter en novembre. «Une Genferei au cube», résume Alexandre de Senarclens, député et président du PLR.

Si c’est deux fois non en mai, sans question subsidiair­e, cette loi issue de l’initiative réglerait la question. Là, ce serait la droite qui sortirait de ses gonds. «Elle coûte 2 milliards de plus que celle soumise au vote le 19 mai, affirme Vincent Maitre, député et président du PDC. De plus, elle est mensongère. Aucun logement ne sera créé car le peuple, en votant en juin dernier sur le PAV, a fixé le nombre de logements dans cette zone. Enfin, elle précipiter­ait la CPEG dans le gouffre car la loi PAV garantit 62% de logements sociaux, c’est-à-dire des logements qui coûtent et non qui rapportent.» L’avocat a par ailleurs des doutes sur la conformité de ce texte par rapport au droit fédéral.

Tous désignent les Verts comme les responsabl­es de ce pataquès. Ancien chef de groupe, Mathias Buschbeck tempère: «Si l’on fait abstractio­n des péripéties politiques, le 19 mai seront soumis l’équivalent d’un projet, un contre-projet et une question subsidiair­e. C’est somme toute assez classique. Selon le résultat, ceux qui s’amusent à mettre le feu dans ce dossier devront assumer. C’est la première fois que je vois l’extrême gauche s’opposer à l’extension de droits populaires. Par leur faute, on risque de se retrouver sans aucun projet pour sauver cette caisse de pension.»

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