La Caisse de pension de l’Etat transforme les députés genevois en charretiers
L’impossible réforme de la caisse de prévoyance des fonctionnaires a mis la politique genevoise dans une situation inextricable. Un vote complexe se prépare en mai. Un autre se profile en novembre, au risque de perdre le citoyen
L’affaire a le don de faire jurer les plus distingués des députés. La réforme de la Caisse de pension de l’Etat de Genève (CPEG) est soumise à votation le 19 mai prochain. Le peuple tranchera donc cette épineuse question. Sauf que ce dossier n’obéit à aucune logique. Les expressions qui reviennent en boucle dans la bouche des élus résument crûment la situation: «gros bordel», «vote à la con», «c’est la merde».
Reprenons. Le taux de couverture de la CPEG n’obéit plus aux normes fédérales. Le 1er janvier 2020 au plus tard, la caisse doit rentrer dans le rang. La facture pour le contribuable se monte à 4,2 milliards. Le temps presse. Le comité de l’institution n’aura bientôt d’autre choix que de couper dans les prestations de ses 45 000 affiliés.
Or, le Grand Conseil a pris des chemins de traverse. Fin 2018, les députés ont voté, à la faveur d’une abstention des Verts, deux projets incompatibles. Celui du Conseil d’Etat, soutenu par la droite, prévoit un système de primauté des cotisations, financées à 58% par les contribuables et à 42% par le fonctionnaire. La gauche et le MCG veulent maintenir la primauté des prestations et la charge de l’employeur à 66,7%.
Début 2019, le Conseil d’Etat a présenté quatre scénarios pour débloquer cette situation inédite. Selon toute vraisemblance, c’est le premier qui s’appliquera: un vote sur les deux objets le 19 mai, avec l’introduction d’une question subsidiaire pour les départager en cas de double oui. Cette version n’est valable que si les référendums lancés dans chaque camp aboutissent. On le saura le lundi 11 février. Des deux côtés, on assure que le nombre de signatures nécessaire est atteint. «A la hussarde»
Oui mais voilà, l’extrême gauche a déposé un recours devant la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice: proposer, comme l’a fait le Conseil d’Etat, une question subsidiaire pour trancher entre deux lois violerait la Constitution. «On bidouille les droits politiques», s’insurge Pierre Vanek, d’Ensemble à gauche. Pour le député, le texte que l’exécutif a fait passer «à la hussarde» normaliserait le vote, par le parlement, de lois contradictoires.
Un succès d’Ensemble à gauche annulerait-il le vote du 19 mai? Seule la Chambre constitutionnelle pourra y répondre. Cela ne réglera pas tout. Le PDC et le PLR ont annoncé mardi le lancement d’un nouveau référendum en lien avec la CPEG. Pour ceux qui ont de la peine à suivre: il s’agit du troisième. Il s’attaque à la loi votée par la gauche et le MCG au Grand Conseil et issue de l’initiative «Sauver les rentes en créant du logement». S’il aboutit, les Genevois pourraient être amenés à se prononcer au mois de novembre.
Imaginons que le scrutin prévu le 19 mai soit maintenu et que le Conseil d’Etat l’emporte. Il faudrait alors expliquer aux Genevois que leur voix de mai comptait pour du beurre et qu’il leur faut revoter en novembre. «Une Genferei au cube», résume Alexandre de Senarclens, député et président du PLR.
Si c’est deux fois non en mai, sans question subsidiaire, cette loi issue de l’initiative réglerait la question. Là, ce serait la droite qui sortirait de ses gonds. «Elle coûte 2 milliards de plus que celle soumise au vote le 19 mai, affirme Vincent Maitre, député et président du PDC. De plus, elle est mensongère. Aucun logement ne sera créé car le peuple, en votant en juin dernier sur le PAV, a fixé le nombre de logements dans cette zone. Enfin, elle précipiterait la CPEG dans le gouffre car la loi PAV garantit 62% de logements sociaux, c’est-à-dire des logements qui coûtent et non qui rapportent.» L’avocat a par ailleurs des doutes sur la conformité de ce texte par rapport au droit fédéral.
Tous désignent les Verts comme les responsables de ce pataquès. Ancien chef de groupe, Mathias Buschbeck tempère: «Si l’on fait abstraction des péripéties politiques, le 19 mai seront soumis l’équivalent d’un projet, un contre-projet et une question subsidiaire. C’est somme toute assez classique. Selon le résultat, ceux qui s’amusent à mettre le feu dans ce dossier devront assumer. C’est la première fois que je vois l’extrême gauche s’opposer à l’extension de droits populaires. Par leur faute, on risque de se retrouver sans aucun projet pour sauver cette caisse de pension.»
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