Le Temps

Une reine au destin tragique

L’Opéra de Lausanne présente une production aux costumes et décors riches. Cet éclairage historique colle parfaiteme­nt au drame de Donizetti, malgré une direction d’acteurs sommaire. On se concentre sur les voix, de qualité

- JULIAN SYKES

L’Opéra de Lausanne programme le drame de Donizetti «Anna Bolena», une fresque historique qui raconte la fin tragique de l’épouse du roi Henri VIII. Une production portée par une musique sublime et des voix magnifique­s.

Anne Boleyn, c’est elle: une reine au destin tragique, décapitée par son mari Henri VIII pour des raisons davantage politiques – elle n’a pas enfanté d’héritier mâle – que sentimenta­les. Une relation ambiguë, placée sous le sceau du pouvoir et de la manipulati­on.

Dans le 30e opéra de Donizetti librement adapté de faits historique­s, Anna Bolena affronte son mauvais sort avec sang-froid. Souveraine dans le malheur, elle accorde le pardon à sa rivale (Giovanna Seymour) et à son page (Smeton), secrètemen­t amoureux d’elle. Accusée d’adultère avec son ancien amant Lord Percy, elle finira au pilori après une scène de la folie – la première de l’opéra romantique italien – qui deviendra un genre en soi et lancera une mode dans les années 1830 en Italie.

En ses dernières heures, Anna perd un instant la raison. Elle croit revivre le jour de son mariage avec Enrico (Henri VIII, donc) et se remémore son bonheur passé avec Percy (décidé à mourir avec elle). Tandis que les condamnés se préparent à mourir, les cloches sonnent déjà les noces de Giovanna et Enrico. Son sort est scellé dès le début de l’opéra. Mélopées et accents éplorés

La musique est d’une grande beauté, longues mélopées d’une souplesse infinie et accents éplorés qui exigent une puissance d’incarnatio­n qui n’est pas donnée à tous. L’Américaine Shelley Jackson ne fléchit guère dans la dernière scène – alors qu’elle a déjà chanté deux heures, se nourrissan­t d’un feu qui s’intensifie au fil de la représenta­tion, capable de soutenir la ligne et d’investir les imprécatio­ns avec densité. Le fond de la voix a beau être un peu guttural, c’est une cantatrice dotée d’une large tessiture et à la rondeur de timbre idéale – sans artifices de surcroît – pour le rôle.

Et quelle difficulté, pas seulement pour elle, mais pour tous les chanteurs réunis sur le plateau! On admire le jeune ténor Edgardo Rocha – mais on souffre aussi pour lui –, tour à tour élégant, rayonnant et criard lorsqu’il doit affronter des notes absolument meurtrière­s dans l’aigu. L’engagement est total, comme pour la Géorgienne Ketevan Kemoklidze, laquelle fait de Jeanne Seymour une sorte de fauve blessé, intrigante, jalouse, prête à tout pour écarter Anna Bolena de la voie royale vers Henri VIII. Mais les personnage­s, à l’exception du roi luimême,

A l’Opéra de Lausanne, les décors et costumes (richement ornés) instaurent un climat oppressant.

ne sont pas d’une seule pièce. On assiste à leur dilemme, à leurs contradict­ions, à leurs aveux qui éclatent sous le poids de la menace et de la contrainte.

Tout est pesant, dans l’univers d’Anna Bolena, sauf la musique qui s’autorise des envolées dans le plus pur style belcantist­e. A l’Opéra de Lausanne, les décors et costumes (richement ornés) instaurent un climat oppressant. Nulle échappatoi­re derrière ces murs qui suintent l’autorité et l’hypocrisie. Impossible de contrer les rumeurs de la plus basse espèce.

Certes, la direction d’acteurs est pour le moins statique, voire sommaire. Chacun compose un personnage avec des gestes parfois bien stéréotypé­s. On se réfugie donc dans la musique, très bien servie par des chanteurs aguerris et un chef d’orchestre (Roberto Rizzi Brignoli) qui parvient à maintenir la tension de bout en

Tout est pesant, dans l’univers d’Anna Bolena, sauf la musique qui s’autorise des envolées dans le plus pur style belcantist­e

bout, jusqu’à l’ultime aria, qui est éreintante pour la soprano.

Réclamant une veine lyrique comme un aplomb tragique, le rôle titre suppose des moyens hors normes. Ketevan Kemoklidze, elle, démontre une belle autorité en Giovanna Seymour, quand bien même son timbre est un peu acide, tranchant, comme si elle avait peur de ne pas être suffisamme­nt percutante. La basse finlandais­e Mika Kares (Enrico) est ce roi inflexible, dont la voix sombre et monochrome, tout d’un bloc, correspond au personnage; n’y cherchez pas des inflexions subtiles.

Le reste de la distributi­on est au diapason de l’oeuvre, avec des choeurs féminins plus accomplis que les choeurs masculins, ceci sous des éclairages très réussis qui ajoutent une aura de mystère à la production. Aucune transposit­ion à la Dmitri Tcherniako­v: c’est un spectacle classique qui fonctionne par son unité et la solennité des décors.

«Anna Bolena» de Donizetti, jusqu’au 13 février 2019. www.opera-lausanne.ch

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(GARY MCCANN)

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