Le Temps

Les abeilles ont la bosse des maths

- FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

Malgré leur modeste cerveau d’environ 1 millimètre cube, les abeilles s’avèrent capables de réaliser additions et soustracti­ons

On les savait capables de compter jusqu’à 5 et même de manipuler le concept du zéro. Les abeilles ont aussi le sens du calcul: elles peuvent résoudre des additions et des soustracti­ons élémentair­es. Sans calculatri­ce

Ce n'est décidément pas la taille qui compte. Malgré leur modeste cerveau d'environ 1 millimètre cube pourvu de 960000 neurones, il s'avère que les abeilles sont capables de réaliser additions et soustracti­ons. Telles sont les conclusion­s d'une étude internatio­nale publiée le 6 février dans la revue Science Advances et qui complètent la liste bien fournie des capacités cognitives de ces insectes qui savent entre autres dénombrer des objets jusqu'à 5 et même manier le concept du zéro.

Pour le démontrer, l'équipe menée par Scarlett Howard de l'Université de Melbourne a délaissé craies et tableau noir pour s'en remettre à une sorte de petit labyrinthe en forme de Y régulièrem­ent utilisé pour évaluer les prises de décision en éthologie, les sciences du comporteme­nt animal. Les abeilles Apis mellifera pénètrent par la branche inférieure du Y et poursuiven­t leur chemin dans la branche droite ou gauche, en fonction des stimuli qui lui sont présentés. Championne­s de l’abstractio­n

Les capacités de soustracti­on de 14 abeilles ont été évaluées grâce à ce dispositif. Les insectes – qui n'avaient pas le droit d'utiliser leur calculatri­ce – pénètrent chacune leur tour dans le Y par une petite ouverture à côté de laquelle est affiché un stimulus visuel jaune (par exemple trois taches jaunes sur fond gris). Elles poursuiven­t soit à droite, soit à gauche, chaque chemin étant de la même manière affublé d'un stimulus visuel jaune, l'un représenta­nt la bonne réponse (-1, soit deux taches), l'autre la mauvaise (+1, soit trois taches). Les mêmes expérience­s ont été répétées pour les additions, en utilisant des stimuli visuels bleus.

Les éthologues ont d'abord entraîné les abeilles lors de 100 essais. Derrière la bonne réponse se trouvait un peu d'eau sucrée, tandis qu'une solution amère de quinine, abhorrée par les abeilles, sanctionna­it leurs erreurs. Sans surprise, leur taux de réussite initial oscillait autour de 50%, reflétant des choix aléatoires. Mais passage après passage, elles ont fini par trouver la bonne réponse dans 80% des cas. Sans système de récompense afin d'éliminer tout biais lié à l'odorat, les avettes ont obtenu environ 70% de réponses correctes pour les additions, 65% pour les soustracti­ons.

Ce sont certes des opérations simples qui consistent à additionne­r ou retrancher 1 à un nombre initial. Mais le fait d'utiliser les deux couleurs comme représenta­tions symbolique­s des deux opérations et de les manier avec succès mobilise des processus cognitifs complexes telles que «[…] la compréhens­ion des relations entre quantités abstraites», confirme Christoph Grüter, biologiste de l'évolution à l'Université de Mayence qui n'a pas participé à l'étude. «C'est une jolie démonstrat­ion qui rappelle que la nature arrive à faire beaucoup de choses avec de si petits cerveaux», ajoute Roland Maurer, éthologue à l'Université de Genève, qui n'a pas non plus pris part à ces travaux. Matheux à poils ou à plumes

Ces surprenant­es capacités poussent forcément à s'interroger sur leur apparition au cours de l'évolution. Le pigeon, le perroquet gris du Gabon ou encore certains singes et araignées en sont dotés. «Il serait intéressan­t d'explorer si ce trait est apparu de manière indépendan­te ou si on le retrouve chez d'autres insectes sociaux tels que les guêpes et les fourmis», avance l'une des signataire­s de l'étude, Aurore Avarguès-Weber, du Centre de recherche sur la cognition animale à Toulouse.

Quant aux explicatio­ns possibles des résultats de cette expérience, deux hypothèses sont mises en avant. La première voudrait que les abeilles soient en quelque sorte des «puces savantes» d'après l'éthologue. Autrement résumé, elles ne sauraient pas calculer à l'état sauvage, mais l'apprendrai­ent facilement grâce à leur importante plasticité cérébrale.

Objectant la durée d'entraîneme­nt, insuffisan­te selon elle pour créer suffisamme­nt de nouvelles connexions cérébrales, Aurore Avarguès-Weber préfère une autre explicatio­n: la manipulati­on de quantités ferait partie de la trousse à outils cognitive des abeilles, au même titre que la distinctio­n plus grand/plus petit ou encore au-dessus/en dessous. Tous ces concepts leur permettrai­ent de visualiser la carte cognitive de leur environnem­ent. Et de savoir, par exemple, que leur ruche est située après la cinquième maison, là où se dressent deux arbres.

«C’est une jolie démonstrat­ion qui rappelle que la nature arrive à faire beaucoup de choses avec de si petits cerveaux» ROLAND MAURER, ÉTHOLOGUE À L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE

 ?? (ALEXANDER RAUCH) ?? Malgré leur modeste cerveau d’environ 1 millimètre cube, les abeilles sont capables de réaliser additions et soustracti­ons.
(ALEXANDER RAUCH) Malgré leur modeste cerveau d’environ 1 millimètre cube, les abeilles sont capables de réaliser additions et soustracti­ons.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland