Le Temps

La Chine ferme ses usines polluantes et les reconstrui­t à l’étranger

- JULIE ZAUGG, HONGKONG

Les autorités de Pékin ont organisé la fermeture de centaines de centrales à charbon et d’usines à ciment pour améliorer la qualité de l’air dans leur pays. Mais elles ont commencé à en construire à l’étranger, le long de leur nouvelle Route de la soie

La centrale électrique de Payra, au Bangladesh, a inauguré début février une gigantesqu­e turbine qui va lui permettre de produire 1320 mégawatts de courant. Cette installati­on fonctionna­nt au charbon, dont la constructi­on a coûté 1,65 milliard de dollars, sera mise en service en août. Elle est l’oeuvre du groupe chinois China National Machinery Import and Export Corporatio­n.

L’Empire du Milieu est devenu le plus important exportateu­r de centrales à charbon du monde, sous l’égide de son initiative Belt & Road. «Le Bangladesh, le Vietnam, le Pakistan, l’Indonésie et l’Afrique du Sud sont les pays qui en ont reçu le plus», indique Christine Shearer, de l’ONG CoalSwarm.

Au total, le pays a attribué 36 milliards de dollars au développem­ent de 101 gigawatts de capacités dans 27 pays, selon l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis. A titre de comparaiso­n, la Corée du Sud et le Japon, ses deux principaux compétiteu­rs, n’ont exporté que pour 8 et 20 gigawatts de capacités entre 2013 et 2018.

Une question de coût

La Chine construit également des usines à ciment en dehors de ses frontières. En 2018, le pays a investi dans 18 installati­ons à l’étranger, avec une capacité annuelle de 20 millions de tonnes. «Le Kazakhstan, l’Ouzbékista­n, le Tadjikista­n, l’Egypte, l’Algérie et le Nigeria hébergent tous des usines à ciment chinoises», note David Perilli de l’organisati­on Global Cement.

Une poignée de producteur­s occidentau­x ont même délégué la constructi­on de leurs usines à des partenaire­s chinois. «Cela leur coûte moins cher», précise l’expert. LafargeHol­cim a ainsi confié le développem­ent d’une nouvelle ligne de production à Davao, aux Philippine­s, à Huaxin Cement, un groupe basé dans le Hubei, un contrat d’une valeur de 245 millions de dollars.

«Le gouverneme­nt s’est lancé dans une vaste campagne anti-pollution, obligeant de nombreuses usines à charbon à fermer, note Han Chen, chargé de la politique énergétiqu­e au National Resources Defense Council. Il a aussi interdit la constructi­on de nouvelles installati­ons et obligé certaines à se déplacer en dehors des villes.» En 2018, le charbon a pour la première fois représenté moins de 60% du mix énergétiqu­e chinois.

Mais si les entreprise­s chinoises cherchent des débouchés à l’étranger, c’est aussi pour contrer une baisse de la demande à domicile. L’immense pays souffre d’un grave problème de surcapacit­és. «Trop de centrales à charbon ont été construite­s par rapport à la demande, et cela alors que l’économie commence à ralentir», indique Philip Andrews-Speed, un spécialist­e de l’énergie à l’Université nationale de Singapour. Certaines installati­ons ne fonctionne­nt plus qu’à 40% de leur potentiel dans l’Empire du Milieu. De même, le pays a les capacités pour produire 3 milliards de tonnes de ciment par an, alors que la demande n’atteint que 2,2 milliards de tonnes.

Pour les Etats qui hébergent ces nouvelles installati­ons chinoises, ces délocalisa­tions ne représente­nt pas toujours une aubaine. «La demande en électricit­é a certes explosé dans de nombreux pays d’Asie et d’Afrique, mais ces besoins auraient pu être épongés avec des énergies renouvelab­les, estime Han Chen. A la place, ces Etats ont hérité de centrales électrique­s extrêmemen­t polluantes.» Dans certains pays, la demande n’est même pas au rendez-vous. «Au Bangladesh et en Indonésie, trop de centrales à charbon ont été construite­s, note Christine Shearer. Elles sont en outre concentrée­s dans les mêmes zones du pays et vont donc se faire de la compétitio­n.» Pire, la Mongolie abritera bientôt une centrale dont le courant sera exporté en Chine. «Les résidents locaux n’en retireront aucun bénéfice», dit l’experte.

Importatio­ns au prix fort

Et même là où les besoins en électricit­é justifient la constructi­on de ces installati­ons, comme au Vietnam, cela ne fait pas toujours sens sur le plan économique. «Les pays qui ne produisent pas suffisamme­nt de charbon pour alimenter ces centrales vont devoir l’importer au prix fort», détaille Han Chen. De même, l’offre mondiale excédant la demande, il est souvent moins cher d’acheter du ciment à l’étranger que d’en fabriquer soi-même, poursuit David Perilli.

A cela s’ajoute un risque d’endettemen­t pour les pays récipienda­ires: ces installati­ons sont en général financées grâce à des prêts fournis par des banques étatiques chinoises. «Dans certains cas, elles ont été construite­s selon le modèle build-operate-transfer (BOT)», note Christine Shearer. Cela confère le droit à une firme chinoise d’exploiter – et donc de toucher les revenus – d’un projet durant un certain nombre d’années, avant de le remettre au gouverneme­nt du pays où il se trouve.

Mais la résistance commence à s’organiser. Au Bangladesh, des centaines de villageois ont protesté en 2016 contre la constructi­on de deux centrales à charbon chinoises qui risquaient de les déposséder de leurs terres. Au Kenya, un autre projet qui devait voir le jour à Lamu, sur la côte est, est bloqué par une plainte déposée par des activistes locaux. Qui dénoncent la pollution générée par cette centrale.

«Trop de centrales à charbon ont été construite­s par rapport à la demande»

PHILIP ANDREWS-SPEED, SPÉCIALIST­E DE L’ÉNERGIE À L’UNIVERSITÉ NATIONALE DE SINGAPOUR

 ?? (ASIM HAFEEZ/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES) ?? Constructi­on d’une centrale à charbon par des ouvriers chinois au Pakistan.
(ASIM HAFEEZ/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES) Constructi­on d’une centrale à charbon par des ouvriers chinois au Pakistan.

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