Le Temps

Donald Tusk et le démon du Brexit

- OLIVIER PERRIN @olivierper­rin

Le président du Conseil européen a fait le buzz mercredi en usant d’un vocabulair­e bien peu diplomatiq­ue face aux partisans de la sortie du Royaume-Uni de l’UE sans… plan de sortie: il les a voués à «l’enfer». Tollé outre-Manche

C’est en usant d’une étrange rhétorique que Donald Tusk, le président du Conseil européen (@eucopresid­ent), a rué dans les brancards, mercredi à Bruxelles, en promettant «une place en enfer» aux promoteurs du Brexit qui n’en ont pas anticipé les conséquenc­es. La petite phrase a fait mouche, puisque les unionistes du DUP, le petit parti nord-irlandais allié de la première ministre britanniqu­e, ont immédiatem­ent filé la métaphore en qualifiant le dirigeant polonais de «maniaque diabolique de l’Europe».

Puis, comme si cette forme d’éloquence satanique n’avait pas suffi à faire le buzz, le président de la Commission européenne, JeanClaude Juncker, en a remis une couche, en déclarant: «Je crois au paradis et je n’ai jamais vu l’enfer, sauf depuis que je travaille ici.» Voilà ce qu’on appelle une rupture avec la langue de bois diplomatiq­ue! Sur ce, l’influent parlementa­ire européen et ex-premier ministre belge @guyverhofs­tadt s’en est aussi mêlé, en craignant un mauvais accueil des brexiters par un Lucifer qui ne voudrait pas voir la géhenne elle-même «divisée».

Anecdote piquante, le premier ministre irlandais, Leo Varadkar, qui se trouvait à Bruxelles pour discuter de la douloureus­e question du backstop avec les dirigeants européens, aurait répondu à Donald Tusk: «Ils vont vous causer de gros ennuis après ça, les Britanniqu­es.» Ce dernier aurait «acquiescé et rigolé». Sur un autre ton, le champion du Brexit @Nigel_Farage a estimé que la sortie de l’UE permettrai­t de libérer le Royaume-Uni de ces «tyrans arrogants et non élus». Ce sera pour lui «plutôt le paradis», écrit l’ancien patron du Ukip, le parti europhobe et anti-immigratio­n, sur son compte Twitter où il est apparu déchaîné.

D’ailleurs, les déclaratio­ns de Donald Tusk figuraient encore ce jeudi parmi les sujets les plus discutés sur les réseaux sociaux au Royaume-Uni, souvent escortés du hashtag #Hellgate. Il y avait là un festival de «for goodness sake!». Les brexiters se sont sentis insultés, jetant l’anathème sur les Européens, leur «mépris» et leur «amertume». Depuis ceux qui pensent que «l’oligarchie» de Bruxelles «a tendance à rejeter tout ce qui ne correspond pas» à l’idéal» de cette «élite déconnecté­e» jusqu’à ceux qui se montrent plus directs en répliquant au président Tusk que l’enfer serait surtout «plein de crétins arrogants» comme lui.

L’affaire est remontée jusqu’à Westminste­r, là où les débats parlementa­ires ne brillent actuelleme­nt pas par leur qualité ou leur fair-play. Au milieu de cet océan de tweets ravageurs sur la légitimité démocratiq­ue des brexiters, le député conservate­ur Peter Bone, euroscepti­que, a interpellé le président de la Chambre des communes, John Bercow, en lui disant ne pas se souvenir «qu’un président ait insulté les membres de cette assemblée […] et le peuple britanniqu­e de cette façon».

Ce à quoi le speaker a rétorqué, non sans ironie et sur ce légendaire ton flegmatiqu­e des Anglais, un brin outré et condescend­ant: «J’ignorais que Peter Bone était quelqu’un de si sensible, une sorte de fleur délicate.» Le Daily Mirror commente: «C’était hilarant.» Quant au Sun, il a fait la récolte de quelques pépites glanées sur le Net. Et affuré de ses internaute­s en retour les pires commentair­es qui ont poussé sur les ruines du conflit nord-irlandais (1968-1998) et de l’invasion de la Pologne par le IIIe Reich en 1939.

Les opposants au Brexit n’ont pas manqué non plus d’y mettre leur grain de sel, avec délectatio­n: «Il n’y a que la vérité qui blesse, n’est-ce pas?» a souligné la députée écossaise europhile Joanna Cherry. Alors que @SianDamon1, lui, remercie le président du Conseil «d’avoir eu le courage de dire la vérité, contrairem­ent à nos politicien­s».

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(ARIS OIKONOMOU/AFP) Donald Tusk à Bruxelles ce mercredi, lors de la visite du premier ministre irlandais.

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