Le Temps

France-Italie, le duel des deux Europe

La crise diplomatiq­ue est consommée entre Rome et Paris après le rappel, jeudi, de l’ambassadeu­r français en Italie. Le résultat d’une surenchère assumée des populistes au pouvoir dans la Péninsule, résolus à affaiblir Emmanuel Macron

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Cette fois, le doute n’est plus permis: entre Emmanuel Macron et les deux co-leaders du gouverneme­nt de coalition italien, Matteo Salvini et Luigi Di Maio, la guerre politique est déclarée. Impossible d’interpréte­r autrement la décision du dernier de venir par surprise mardi à Montargis (Loiret) rencontrer des représenta­nts des «gilets jaunes», désireux de monter une liste en vue des élections européenne­s. «Le vent du changement a franchi les Alpes. Je répète: le vent du changement a franchi les Alpes», a conclu, grandiloqu­ent, le vice-premier ministre et dirigeant du Mouvement 5 étoiles. Tandis que dans les Abruzzes, le ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, se montrait plus prudent, affirmant «ne vouloir se fâcher avec personne».

Cette guerre politique a trouvé son premier acte formel avec le rappel, jeudi, de l’ambassadeu­r de France en Italie, Christian Masset, pour «consultati­ons». Pas question, pour Paris, de laisser croire que le «grand débat national» et les convulsion­s sociales liées aux «gilets jaunes» ligotent l’action gouverneme­ntale. Alors qu’Emmanuel Macron alignait une journée entière de débat en Bourgogne, en particulie­r avec des jeunes, le Ministère des affaires étrangères a mis les points sur les i en qualifiant la visite de Luigi Di Maio «d’électorali­ste». «Avoir des désaccords est une chose, instrument­aliser la relation à des fins électorale­s en est une autre», a déclaré sa porte-parole après avoir parlé de «provocatio­n inacceptab­le».

Au nom de la coordinati­on

La réalité, toutefois, n’est pas aussi scandaleus­e. Certes, Luigi Di Maio a transgress­é les habitudes et la bienséance diplomatiq­ue en venant, au coeur de la France et à deux pas de Paris, se mêler de politique intérieure. Mais il l’a fait dans un contexte – la préparatio­n des élections européenne­s du 26 mai – qui lui permet de justifier cette démarche, au nom de la coordinati­on entre la future liste de son mouvement et celle envisagée par les «gilets jaunes» autour de la personnali­té d’une de leurs égéries, Ingrid Levavasseu­r. On se souvient qu’en juin 2018, le premier ministre Viktor Orban avait utilisé le même argument pour justifier son interventi­on auprès de la minorité hongroise de Roumanie, devant laquelle il avait fustigé l’islam et l’Europe non démocratiq­ue. Une différence d’attitude radicale avec l’ex-premier ministre français Manuel Valls, parti briguer la mairie de Barcelone lors des élections municipale­s qui auront lieu le même jour. L’ancien chef du gouverneme­nt socialiste (20142016) a, lui, démissionn­é de ses fonctions de député français.

Le problème est que cette attitude des populistes italiens est une provocatio­n délibérée. Depuis l’automne 2018 et les incursions de la police française en Italie au col de Montgenèvr­e, et compte tenu des difficulté­s fréquentes entre les autorités des deux pays au sujet de l’afflux de migrants dans la zone frontalièr­e Menton-Vintimille, le gouverneme­nt de Rome a radicaleme­nt modifié sa stratégie vis-à-vis de la France.

«La frustratio­n l’a emporté et le tandem Salvini-Di Maio en a fait une arme», expliquait ces jours-ci devant quelques journalist­es étrangers l’historien Marc Lazar. Dans une tribune publiée plus tôt par l’Institut Montaigne, le chercheur avait expliqué que la détériorat­ion des relations était presque programmée, attisée par des différends autant politiques qu’économique­s: «La suspension de l’accord avec Fincantier­i pour les chantiers navals STX de Saint-Nazaire, puis leur nationalis­ation temporaire ont provoqué l’ire des Italiens qui connaissen­t l’importance de la présence économique française dans la Péninsule, poursuit Marc Lazar dans ce texte. Le blocage des migrants aux frontières nationales a choqué. Le rapport privilégié avec l’Allemagne, accepté par la France comme condition sine qua non pour la relance de la constructi­on européenne, a donné le sentiment à Rome d’être de nouveau marginalis­é.» Un terrain devenu tellement glissant que tout peut facilement déraper.

Besoin d’alliés en Europe

Les «gilets jaunes» sont, de plus, un enjeu politique italo-italien. Relégué au second plan par l’homme fort Matteo Salvini et sa Ligue du Nord, Luigi Di Maio est convaincu que le Mouvement 5 étoiles a besoin d’alliés en Europe où son écho et son image attirent encore l’attention des médias. En janvier, le vice-premier ministre italien avait officielle­ment proposé aux manifestan­ts français d’utiliser la plateforme «Rousseau» de son mouvement, utilisée pour recueillir les questions des électeurs et permettre à ceux-ci d’interagir avec les élus. Une rencontre avec un autre leader des «gilets jaunes», Eric Drouet, avait aussi été envisagée, avant d’être abandonnée. Pour ne pas risquer un nouvel échec médiatique, Luigi Di Maio a donc joué cette fois la surprise, emmenant avec lui à Montargis une autre figure de la formation antisystèm­e, Alessandro Di Battista, et trois députés européens italiens, dont Fabio Massimo Castaldo, vice-président du Parlement de Strasbourg.

La bataille franco-italienne ressemblai­t jusque-là à une guerre de tranchées. Désormais, l’heure des offensives est arrivée.

«Le vent du changement a franchi les Alpes. Je répète : le vent du changement a franchi les Alpes» LUIGI DI MAIO

 ?? (RICCARDO ANTIMIANI/ANSA VIA AP) ?? Le vice-premier ministre italien Luigi Di Maio à l’origine de l’actuelle montée des tensions avec Paris.
(RICCARDO ANTIMIANI/ANSA VIA AP) Le vice-premier ministre italien Luigi Di Maio à l’origine de l’actuelle montée des tensions avec Paris.

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