France-Italie, le duel des deux Europe
La crise diplomatique est consommée entre Rome et Paris après le rappel, jeudi, de l’ambassadeur français en Italie. Le résultat d’une surenchère assumée des populistes au pouvoir dans la Péninsule, résolus à affaiblir Emmanuel Macron
Cette fois, le doute n’est plus permis: entre Emmanuel Macron et les deux co-leaders du gouvernement de coalition italien, Matteo Salvini et Luigi Di Maio, la guerre politique est déclarée. Impossible d’interpréter autrement la décision du dernier de venir par surprise mardi à Montargis (Loiret) rencontrer des représentants des «gilets jaunes», désireux de monter une liste en vue des élections européennes. «Le vent du changement a franchi les Alpes. Je répète: le vent du changement a franchi les Alpes», a conclu, grandiloquent, le vice-premier ministre et dirigeant du Mouvement 5 étoiles. Tandis que dans les Abruzzes, le ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, se montrait plus prudent, affirmant «ne vouloir se fâcher avec personne».
Cette guerre politique a trouvé son premier acte formel avec le rappel, jeudi, de l’ambassadeur de France en Italie, Christian Masset, pour «consultations». Pas question, pour Paris, de laisser croire que le «grand débat national» et les convulsions sociales liées aux «gilets jaunes» ligotent l’action gouvernementale. Alors qu’Emmanuel Macron alignait une journée entière de débat en Bourgogne, en particulier avec des jeunes, le Ministère des affaires étrangères a mis les points sur les i en qualifiant la visite de Luigi Di Maio «d’électoraliste». «Avoir des désaccords est une chose, instrumentaliser la relation à des fins électorales en est une autre», a déclaré sa porte-parole après avoir parlé de «provocation inacceptable».
Au nom de la coordination
La réalité, toutefois, n’est pas aussi scandaleuse. Certes, Luigi Di Maio a transgressé les habitudes et la bienséance diplomatique en venant, au coeur de la France et à deux pas de Paris, se mêler de politique intérieure. Mais il l’a fait dans un contexte – la préparation des élections européennes du 26 mai – qui lui permet de justifier cette démarche, au nom de la coordination entre la future liste de son mouvement et celle envisagée par les «gilets jaunes» autour de la personnalité d’une de leurs égéries, Ingrid Levavasseur. On se souvient qu’en juin 2018, le premier ministre Viktor Orban avait utilisé le même argument pour justifier son intervention auprès de la minorité hongroise de Roumanie, devant laquelle il avait fustigé l’islam et l’Europe non démocratique. Une différence d’attitude radicale avec l’ex-premier ministre français Manuel Valls, parti briguer la mairie de Barcelone lors des élections municipales qui auront lieu le même jour. L’ancien chef du gouvernement socialiste (20142016) a, lui, démissionné de ses fonctions de député français.
Le problème est que cette attitude des populistes italiens est une provocation délibérée. Depuis l’automne 2018 et les incursions de la police française en Italie au col de Montgenèvre, et compte tenu des difficultés fréquentes entre les autorités des deux pays au sujet de l’afflux de migrants dans la zone frontalière Menton-Vintimille, le gouvernement de Rome a radicalement modifié sa stratégie vis-à-vis de la France.
«La frustration l’a emporté et le tandem Salvini-Di Maio en a fait une arme», expliquait ces jours-ci devant quelques journalistes étrangers l’historien Marc Lazar. Dans une tribune publiée plus tôt par l’Institut Montaigne, le chercheur avait expliqué que la détérioration des relations était presque programmée, attisée par des différends autant politiques qu’économiques: «La suspension de l’accord avec Fincantieri pour les chantiers navals STX de Saint-Nazaire, puis leur nationalisation temporaire ont provoqué l’ire des Italiens qui connaissent l’importance de la présence économique française dans la Péninsule, poursuit Marc Lazar dans ce texte. Le blocage des migrants aux frontières nationales a choqué. Le rapport privilégié avec l’Allemagne, accepté par la France comme condition sine qua non pour la relance de la construction européenne, a donné le sentiment à Rome d’être de nouveau marginalisé.» Un terrain devenu tellement glissant que tout peut facilement déraper.
Besoin d’alliés en Europe
Les «gilets jaunes» sont, de plus, un enjeu politique italo-italien. Relégué au second plan par l’homme fort Matteo Salvini et sa Ligue du Nord, Luigi Di Maio est convaincu que le Mouvement 5 étoiles a besoin d’alliés en Europe où son écho et son image attirent encore l’attention des médias. En janvier, le vice-premier ministre italien avait officiellement proposé aux manifestants français d’utiliser la plateforme «Rousseau» de son mouvement, utilisée pour recueillir les questions des électeurs et permettre à ceux-ci d’interagir avec les élus. Une rencontre avec un autre leader des «gilets jaunes», Eric Drouet, avait aussi été envisagée, avant d’être abandonnée. Pour ne pas risquer un nouvel échec médiatique, Luigi Di Maio a donc joué cette fois la surprise, emmenant avec lui à Montargis une autre figure de la formation antisystème, Alessandro Di Battista, et trois députés européens italiens, dont Fabio Massimo Castaldo, vice-président du Parlement de Strasbourg.
La bataille franco-italienne ressemblait jusque-là à une guerre de tranchées. Désormais, l’heure des offensives est arrivée.
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«Le vent du changement a franchi les Alpes. Je répète : le vent du changement a franchi les Alpes» LUIGI DI MAIO