Monsieur le Président…
Monsieur le Président, je vous fais une lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps… Il est vrai que vous êtes très occupé par vos charges et que la France vous donne actuellement plus de fil à retordre que vous ne l’aviez imaginé en accédant à l’Elysée. Vous aviez sans doute cru que le plus dur était fait lorsque, le soir de votre élection, vous avez parcouru dignement la cour du Louvres, au son de l’Hymne à la joie. Mais c’était le plus facile au contraire et des joies, depuis, vous n’en avez guère connu.
Comme votre prédécesseur, vous êtes friand de petites phrases à l’emporte-pièce mais, au lieu de vous rendre sympathique, elles vous desservent au contraire. Vous avez récemment interpellé les élus avec un «Non, non, les enfants, ça marche pas comme ça…» puis comparé les «gilets jaunes» à des «jojos», ce qui signifie «enfant insupportable» selon Larousse. Votre ton reste donc résolument paternaliste alors même que votre peuple ne supporte plus votre condescendance.
Mais tout cela ne me regarde pas, direz-vous, moi qui ne suis qu’une demi-Française vivant hors du pays. En revanche, quand vous vous gaussez de la Suisse, mon autre moitié se sent entièrement concernée car mon coeur et ma vie sont ici. Vous commencez par asséner: «La Suisse ne marche pas aussi bien qu’on le pense.» Evidemment, je vous le concède, la Suisse pourrait être première au lieu de troisième au palmarès des pays les moins corrompus du monde (la France est 23e), elle pourrait être première au lieu de quatrième en termes de productivité nationale (la France est 12e), elle pourrait cesser de traîner à la 5e place des pays les plus heureux du monde (la France est 23e). Elle pourrait en somme faire mieux et, j’en suis sûre, les Helvètes vont tout faire pour y parvenir, moins pour vous satisfaire que par goût du défi. Vous rajoutez à ce premier constat dépréciatif une condamnation sans appel, de celles qu’un chef d’Etat ne devrait jamais proférer sur un pays, ami qui plus est: «Le modèle suisse est inadapté.» Là encore, je m’interroge sur les manifestations d’inadéquation de la Suisse à l’environnement économique et social actuel. Elle occupe la première place quant au nombre de demandes de brevets en regard de sa population (884 requêtes par million d’habitants en 2017, la France autour de 300). Selon les classements pris en compte, elle profile une ou deux de ses écoles supérieures dans les vingt meilleures du monde, je ne vous ferai pas l’injure de rappeler le rang du premier établissement français. La dette helvétique correspond à 30% de son PIB, c’est beaucoup trop, mais celle de la France culmine à 97% à fin 2017. Je vous fais grâce d’innombrables autres exemples aussi sérieux qu’édifiants, venant contredire votre propos. Et pourtant, comme vous l’assénez vous-même: «La Suisse, c’est 6 millions de personnes.» Pour votre information, c’est plutôt 8 millions… Mais imaginez que nous soyons, comme vous, 67 millions! Avec cette masse critique, nous ferions des économies d’échelle, notre système décentralisé porterait tous ses fruits, notre puissance économique décuplerait et nous serions encore plus performants… comme la France? Pour finir, vous ajoutez cette critique: «En Suisse, il y a une acceptation des inégalités», comme si c’était ici la norme que de cultiver les différences, alors que la France les combattrait avec succès. Il est navrant que vous, président de la République, puissiez tomber dans de tels stéréotypes de café du Commerce, alors que l’indice de Gini, qui mesure le degré d’inégalité des revenus dans une société donnée, place la Suisse ex aequo avec la France. Je vous renvoie donc à vos soucis.
C’est en vous souhaitant sincèrement de parvenir à rendre les Français plus heureux, car ils le méritent, et la France plus prospère, car elle le fut jadis, que je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’expression de ma parfaite considération.
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