Le Temps

L’unité de l’Espagne embrase la droite

Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dimanche à Madrid contre la politique du gouverneme­nt socialiste de Pedro Sanchez, trop conciliant envers les sécessionn­istes, selon la droite et l’extrême droite espagnoles

- FRANÇOIS MUSSEAU, MADRID @FrancoisMu­sseau

Au milieu d’une nuée de drapeaux nationaux sang et or, ils sont des dizaines de milliers à réclamer à tue-tête la démission du chef du gouverneme­nt socialiste, Pedro Sánchez, accusé par les droites espagnoles – et certains dirigeants socialiste­s – de s’agenouille­r devant les sécessionn­istes catalans. Ce dimanche vers midi, ils ont convergé vers la Plaza de Colon, traditionn­el lieu de protestati­on du nationalis­me espagnol, pour exiger la tenue de nouvelles élections. «Nous sommes gouvernés par un dirigeant qui ne pense qu’à ses intérêts personnels, celui de se maintenir au pouvoir coûte que coûte, au mépris de l’unité du pays, s’indigne Juan Manuel, 46 ans, fonctionna­ire de la santé. Nous ne laisserons pas faire ça!».

Nouveau référendum contre le budget

La foule manifestan­te déborde de toutes parts de la place monumental­e. Tous les chefs de file de la droite espagnole occupent une position centrale, même s’ils ont préféré ne pas prononcer de discours: Albert Rivera, des centristes libéraux de Ciudadanos, Pablo Casado, du Parti Populaire, ainsi que le sulfureux Santiago Abascal, du parti d’extrême droite Vox, qui réclame, entre autres, une «recentrali­sation de la nation espagnole» (notamment la suppressio­n des 17 parlements régionaux), la reconducti­on immédiate des sans-papiers aux frontières ou la fin des lois contre la violence conjugale. Certains dirigeants de Ciudadanos, dont l’ancien premier ministre français – et candidat à la mairie de Barcelone – Manuel Valls, ont admis ne pas être à l’aise en leur compagnie.

Cette mobilisati­on patriotiqu­e intervient dans un contexte politique particuliè­rement houleux. Alors que, demain, commence le procès des auteurs séparatist­es du référendum d’autodéterm­ination illégal du 1er octobre 2017, le gouverneme­nt Sanchez est à couteaux tirés avec le gouverneme­nt sécessionn­iste de Barcelone: le dirigeant socialiste a impérative­ment besoin de son soutien pour faire approuver le budget annuel, sans quoi, faute de majorité parlementa­ire, il sera dans l’obligation de convoquer des élections générales; de l’autre côté, les séparatist­es laissent miroiter cet appui – leur réponse est attendue d’ici à ce mercredi — mais maintienne­nt une condition que le socialiste Sánchez ne veut accepter: la reconnaiss­ance du droit des séparatist­es catalans à un nouveau référendum d’autodéterm­ination, cette fois-ci organisé en toute légalité.

Quoique Madrid ait rompu vendredi les pourparler­s avec le camp sécessionn­iste, les droites espagnoles sont persuadées que, aux dires de Pablo Casado, «les socialiste­s sont en train de brader l’Espagne». Et son porte-parole d’ajouter: «Il est dramatique de voir notre chef du gouverneme­nt trahir les Espagnols.» Cette colère a été accentuée lorsque Pedro Sanchez a accepté jeudi la propositio­n catalanist­e de nommer un «relator», une sorte de rapporteur-médiateur devant veiller sur les pourparler­s entre le pouvoir central et l’exécutif catalan. «C’est comme si deux nations en conflit avaient besoin d’un arbitre, a enragé Albert Rivera, de Ciudadanos. Or, une bonne moitié de Catalans se sentent pleinement Espagnols.»

Méga-procès des responsabl­es sécessionn­istes

Alors que les sécessionn­istes catalans emmenés par Quim Torra ne semblent guère disposés à renoncer à l’autodéterm­ination, la droite se radicalise. Sur la Plaza Colon, ce rassemblem­ent en est l’illustrati­on. «L’Espagne est une grande nation de 47 millions d’habitants, avec une histoire glorieuse d’un demi-millénaire, affirme Jesus, un retraité venu avec ses fils et petits-fils, tous drapés dans l’étendard rouge et jaune. Comme Sánchez se soumet à ses calculs de basse politique, il y a de quoi être inquiet.» A côté de lui, un couple de quadras, Juan et Maria Soledad, réaffirme l’unité des droites: «En attaquant Vox, les dirigeants européens n’ont rien compris. C’est un parti parfaiteme­nt démocratiq­ue.»

Les manifestan­ts ont convergé vers la Plaza de Colon, traditionn­el lieu de protestati­on, pour exiger la tenue de nouvelles élections.

«Les socialiste­s sont en train de brader l’Espagne» PABLO CASADO,

PRÉSIDENT DU PARTI POPULAIRE

Après sa performanc­e inattendue aux législativ­es andalouses (11% des voix, 12 sièges), Vox est la formation montante, d’après tous les sondages. Au point que, auparavant plutôt modéré, le Parti Populaire de Pablo Casado ne cesse de se radicalise­r en prenant à son compte certaines revendicat­ions des extrémiste­s. «De peur de voir une partie de son électorat quitter le navire, souligne le politologu­e Josep Ramoneda, le PP revient sur un programme idéologiqu­e autour des valeurs chrétienne­s, la famille, l’enseigneme­nt privé, la démonisati­on des immigrés… Un virage qui renforce la polarisati­on de la politique nationale.» Ce dimanche, ce rassemblem­ent nationalis­te a prouvé que les esprits sont à vif. Cette semaine, avec l’ouverture à Madrid du méga-procès des responsabl­es sécessionn­istes en prison préventive, risquant jusqu’à 23 ans de réclusion, la tension devrait encore s’accentuer.

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(ANDREA COMAS/AP PHOTO)

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