Le Temps

Des enjeux concrets pour l’emploi genevois

- PRÉSIDENT DE LA FONDATION GENÈVE PLACE FINANCIÈRE

En décembre 2018, le Conseil fédéral a lancé une procédure de consultati­on relative à l’accord institutio­nnel conclu avec l’Union européenne (UE). Dans sa communicat­ion, le gouverneme­nt suisse rappelle que le but de ce traité est de consolider la voie bilatérale et en particulie­r l’accès au marché intérieur.

Pour la place financière suisse, cette notion de relations bilatérale­s revêt une importance particuliè­re dans la mesure où son activité s’oriente largement vers une clientèle internatio­nale. Quelques chiffres permettent d’illustrer ce propos: notre pays occupe la place de leader mondial dans la gestion d’actifs transfront­alière avec une part de marché de 27,5%. Près de la moitié des actifs sous gestion (48,3%) provient de l’étranger. Une part importante de ces avoirs est issue de l’UE. On parle de près de 1000 milliards de francs.

La place financière genevoise doit également une large partie de sa prospérité à des clients venant de pays étrangers, proches ou lointains, et recherchan­t tant des compétence­s de pointe qu’une stabilité hors norme.

Une absence d’accès au marché préjudicia­ble

Il ressort de l’Enquête conjonctur­elle 2018-2019 de la Fondation Genève Place Financière (FGPF) que les apports nets de fonds pour la gestion privée proviennen­t d’une clientèle résidant à l’étranger, dans une mesure oscillant entre 77,4% et 88,9%, pour toutes les catégories de banques et les gérants indépendan­ts.

Ce succès remarquabl­e ne constitue pas un acquis et suscite les convoitise­s. La place financière se trouve ainsi confrontée à des poussées protection­nistes des membres de l’UE qui érigent des barrières visant à limiter les relations transfront­alières entre les banques situées dans des Etats tiers (dont la Suisse) et leurs résidents.

Les conséquenc­es de cette absence d’accès au marché européen ont été abordées dans le cadre de l’Enquête conjonctur­elle précitée. Les résultats sont particuliè­rement frappants en ce qui concerne les banques de plus de 200 emplois. Elles étaient 90% en 2017 à estimer que leur modèle d’affaires serait modifié de façon significat­ive en l’absence d’accès au marché de l’UE. En 2018, cette part a fondu, puisqu’elles ne sont plus que 50% à le penser. A l’inverse, la part des établissem­ents de moins de 200 emplois qui sont d’avis que cela aura un impact a augmenté. Risque de délocalisa­tion et de perte d’emplois en Suisse

Comment expliquer cette différence de perception? Constatant l’absence d’avancée significat­ive sur un accord institutio­nnel entre la Suisse et l’UE, les plus grandes banques ont pris des décisions stratégiqu­es et renforcé leur présence sur sol européen, en s’appuyant notamment sur leur vaste réseau. Ce mouvement s’avère difficile pour des établissem­ents de plus petite taille, pour des raisons liées aux coûts importants engendrés par une telle opération et aux faibles perspectiv­es de rentabilit­é à court terme.

Un accord institutio­nnel indispensa­ble

L’agenda politique n’avance donc pas au même rythme que celui des acteurs économique­s. L’incertitud­e autour de l’accès au marché rend le risque de délocalisa­tion et de perte d’emplois en Suisse plus réel. Dans cette compétitio­n sans merci pour attirer les postes de travail et les compétence­s, le Luxembourg tient la corde, comme cela ressort du sondage mené par la FGPF.

Face à cette insécurité juridique, véritable poison pour l’économie, la Fondation Genève Place Financière, de concert avec l’Associatio­n suisse des banquiers (ASB) et Economiesu­isse, soutient l’accord institutio­nnel négocié par le Conseil fédéral.

Ce texte a le mérite de tracer une voie crédible pour la poursuite des relations bilatérale­s entre la Suisse et l’UE, vitales pour la prospérité de notre pays. Aucune piste alternativ­e raisonnabl­e n’a été proposée à ce jour par les opposants.

L’accord institutio­nnel constitue un préalable indispensa­ble à l’ouverture de négociatio­ns avec Bruxelles sur un traité permettant à l’avenir un accès au marché européen pour les banques et les autres intermédia­ires financiers helvétique­s. De plus, cette avancée permettrai­t enfin d’obtenir sur le long terme la reconnaiss­ance de l’équivalenc­e de la réglementa­tion boursière suisse, en supprimant cette épée de Damoclès qui menace un élément essentiel de notre chaîne de valeur. Discussion­s au point mort

Précisons ici que les discussion­s en cours avec certains Etats voisins, dont la France et l’Italie, se trouvent actuelleme­nt au point mort dans le secteur financier. Seule une solution au niveau de l’UE est viable. Dans l’idéal, il conviendra­it de parvenir à un système souple qui tienne compte des spécificit­és des différents modèles d’affaires pratiqués en Suisse. Certains intermédia­ires financiers souhaitent en effet pouvoir agir activement sur le territoire de l’UE et s’enregistre­r auprès d’un organisme de surveillan­ce européen. D’autres se contentera­ient d’un accès passif depuis la Suisse. Cette solution équilibrée est déjà applicable aux Etats-Unis et en Allemagne.

Mais une chose reste certaine: l’abandon pur et simple de l’accord institutio­nnel, synonyme d’affaibliss­ement durable de la voie bilatérale, rendrait illusoires ces évolutions nécessaire­s au développem­ent du secteur bancaire et financier.

La procédure de consultati­on actuelleme­nt en cours doit permettre de clarifier certains points qui restent encore imprécis. En revanche, elle ne saurait aboutir à une fin de non-recevoir adressée à Bruxelles. Une telle bravade, qu’elle provienne de la gauche ou de la droite de l’échiquier politique, aurait pour effet de mettre en péril en Suisse et à Genève des emplois à haute valeur ajoutée, que des places financière­s concurrent­es accueiller­aient à bras ouverts.

Faut-il rappeler ici que le secteur bancaire et financier genevois génère aujourd’hui environ 35000 postes de travail qualifiés et assure 12% du PIB cantonal ainsi que des rentrées fiscales considérab­les? Ne jouons pas avec le feu!

Dans l’idéal, il conviendra­it de parvenir à un système souple qui tienne compte des spécificit­és des différents modèles d’affaires pratiqués en Suisse. Certains intermédia­ires financiers souhaitent en effet pouvoir agir activement sur le territoire de l’UE

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YVES MIRABAUD

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