Le Temps

«Sube», la révolution Uber à la cubaine

- HECTOR LEMIEUX, LA HAVANE

Un groupe de cinq jeunes Cubains a conçu une applicatio­n mettant en lien chauffeurs et clients

«Sube (Montez)»! Tel est le sobriquet du nouvel Uber à la cubaine. Alors que, depuis la mi-décembre, les Cubains peuvent disposer de forfaits internet sur leurs téléphones, un groupe de cinq jeunes informatic­iens locaux a conçu une applicatio­n sur le modèle d’Uber.

Sube, l’applicatio­n communiste, disponible sur les systèmes Android et bientôt sur iOS, se télécharge sur Google Play. A l’instar d’Uber, elle met en relation des chauffeurs et des clients, mais avec des particular­ités bien cubaines. Car dans cet Uber à la sauce rouge, le client, une fois inscrit sur Sube, chatte avec le chauffeur pour convenir d’un prix pour la course. Comme dans la vie quotidienn­e à Cuba, les deux parties négocient âprement leurs tarifs. Sube officialis­e un système existant illégaleme­nt dans l’île. A La Havane, les automobili­stes, pour arrondir leurs fins de mois, prennent des clients dans la rue contre pesos sonnants et trébuchant­s. Cette fois, les chauffeurs doivent être des cuentaprop­istas (entreprene­urs privés), titulaires d’une licence de taxi.

Au pays du socialisme déclinant, l’un des jeunes informatic­iens inventeurs du concept, Darien Gonzalez, précise dans une vidéo postée sur YouTube que son applicatio­n ne permet que des paiements en liquide. En à peine un mois, plus de 1000 clients et chauffeurs ont téléchargé Sube. Un succès à l’échelle cubaine et une révolution dans le transport, notamment dans la capitale. Darien Gonzalez a expliqué le pourquoi de son Uber: «Sube est née d’une discussion entre amis […] à cause des problèmes de transport à Cuba. C’est un moyen pour soulager la crise dans les transports.» Résoudre les problèmes de transport

Les guaguas (les bus) sont surchargés. Les taxis collectifs, que l’on prend à des endroits bien précis, sont en nombre insuffisan­t et l’attente peut atteindre quarante minutes. Les boteros (chauffeurs de taxis collectifs), en guerre avec le gouverneme­nt, ont multiplié les grèves ces derniers mois. Là, grâce au génie de cinq jeunes, les Cubains sautent qui dans une Lada, qui dans une Moskvitch ou une Chevrolet Bel Air dans les cinq minutes. Enfin presque, car, pour l’instant, les chauffeurs inscrits sur Sube ne sont pas encore assez nombreux.

Sube répond à une tendance du moment à Cuba. Le nouveau président cubain, Miguel Diaz-Canel, féru d’internet, a, en début d’année, prononcé un long discours vantant les mérites du commerce électroniq­ue et la nécessité de développer des logiciels cubains pour contrer l’impérialis­me culturel des Etats-unis. Rien ne garantit cependant la pérennité de Sube, surtout si le succès financier est au rendez-vous. Le capitalism­e à la cubaine, après avoir été porté par Raul Castro à partir de 2010, a désormais mauvaise cote auprès des autorités.

Sube, émanation pure et dure du secteur privé, pourrait être bridée par le gouverneme­nt lorsque son succès sera trop important. Mais pour connaître un véritable succès à l’échelle du pays, les prix de l’internet devront baisser. Actuelleme­nt, un forfait de 600 MO valable 30 jours coûte 7 francs, soit 30% du salaire moyen officiel mensuel. Ce qui n’empêche pas Darien et ses amis «d’avoir de nombreux projets», parmi lesquels un Sube pour les motos, mais aussi une applicatio­n de livraison de traiteurs sur le modèle d’Uber Eats. Un vrai défi dans un pays où même les restaurant­s font face à une terrible crise alimentair­e.

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