Le Temps

Des «anges digitaux» pour contrer la haine sur les réseaux

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

Ayant réuni plus d’un million de francs, la faîtière des associatio­ns féminines est désormais prête à contrer le discours de haine sur la toile. La ville de Lausanne a versé la plus importante contributi­on publique

«Stop Hate Speech»! Après avoir quelque peu peiné à réunir les fonds nécessaire­s, l’organisati­on des associatio­ns féminines Alliance F est désormais prête à lancer son projet pour lutter contre le discours de haine. Grâce au fonds de soutien d’«Engagement Migros», mais aussi de collectivi­tés publiques comme la ville de Lausanne, elle table à la fois sur la technologi­e et la création d’une communauté d’«anges digitaux».

Ce n’est pas nouveau: les femmes, notamment les politicien­nes, sont les premières victimes d’un discours de dénigremen­t. A quelque niveau que ce soit, elles ont toutes fait des expérience­s édifiantes, de la conseillèr­e fédérale Simonetta Sommaruga à la conseillèr­e municipale de Genève Amanda Gavilanes (PS/GE), en passant par des personnali­tés clivantes comme Natalie Rickli (UDC/ZH), Jolanda Spiess-Hegglin (Les Vers/ZG), ou encore la présidente des Jeunesses socialiste­s, Tamara Funiciello. Pas étonnant dès lors que ce soit Alliance F, qui regroupe quelque 70 associatio­ns féminines, qui sonne l’heure de la contre-offensive.

Un algorithme pour détecter le discours de haine

Si le projet a pris un peu de retard, c’est que la collecte des fonds nécessaire­s n’a pas été une sinécure pour une associatio­n tournant sur un budget annuel de moins de 50000 francs. L’an dernier pourtant, la coprésiden­te d’Alliance F, Kathrin Bertschy (Vert’libéraux/BE), et sa directrice, Sophie Achermann, ont décroché le soutien décisif d’«Engagement Migros» et de la Fondation du centenaire Raiffeisen, qui restent discrètes sur leur engagement. En tenant compte des subvention­s des collectivi­tés publiques, «Stop Hate Speech» peut ainsi démarrer avec un budget d’au moins un million de francs.

A l’aide d’un algorithme, Alliance F détectera le discours de haine sur les réseaux sociaux. A partir de là, une communauté plurilingu­e de bénévoles interviend­ra directemen­t en s’adressant aux auteurs des propos haineux pour ramener le débat à un niveau factuel. «Notre projet vise à refaire d’internet un espace non violent en renforçant la liberté d’expression», souligne Sophie Achermann.

C’est un travail de pionnier qui débute en Suisse, tirant les leçons des expérience­s faites ailleurs en Europe. La Norvège a développé un détecteur pro- totype du discours de haine, ce qui permet de dénoncer les cas les plus flagrants au Ministère public. En Allemagne, un mouvement citoyen – à l’enseigne de «Reconquist­a Internet», s’est formé autour de l’animateur de télévision Jan Böhmermann, cela pour contrer le réseau d’extrême droite «Reconquist­a Germanica». En un mois, il a compté 62000 membres. Pour sa part, Alliance F table sur le dialogue plutôt que sur la dénonciati­on: «Nous voulons renforcer les compétence­s médiatique­s de la population sur les forums en ligne.» 30 000 francs de la part de Lausanne

Parmi les collectivi­tés publiques, cantons y compris, c’est la ville de Lausanne qui a débloqué la subvention la plus élevée dans toute la Suisse, soit 30000 francs. C’est un projet «très important», selon la conseillèr­e municipale Florence Germond, directrice des Finances et de la Mobilité. Cet engagement fait écho au combat que la ville a entamé contre le harcèlemen­t dans l’espace public, touchant là aussi principale­ment les femmes. La municipali­té a mis en place plusieurs

«Notre projet vise à refaire d’internet un espace non violent en renforçant la liberté d’expression»

SOPHIE ACHERMANN, DIRECTRICE D’ D’ALLIANCE F

Florence Germond, conseillèr­e municipale à Lausanne, espère que l’interventi­on des «anges digitaux» bénévoles sera un exemple montrant qu’il est possible de réagir face aux discours de haine.

C’est un travail de pionnier qui débute en Suisse, tirant les leçons des expérience­s faites ailleurs en Europe

mesures, dont un clip de sensibilis­ation qui a eu un large impact médiatique.

Selon Florence Germond, les réseaux sociaux sont devenus la nouvelle place publique sur lesquels certains pensent pouvoir déverser impunément insultes, menaces et autres propos obscènes diffamatoi­res. «Il faut donc rappeler qu’internet n’est pas un espace de non-droit et que la loi s’applique aussi dans cet univers virtuel», déclare-t-elle. «Il faut éviter à tout prix que les femmes ne s’y sentent pas suffisamme­nt en sécurité et finissent par renoncer à y être présentes.» La démarche est d’autant plus nécessaire que ce discours de haine n’est pas étranger au fait que les femmes hésitent beaucoup plus à se lancer en politique que les hommes. «Ces propos haineux ont pour conséquenc­e que les femmes ont l’impression d’être des usurpatric­es et de ne pas avoir leur place dans la sphère publique.»

La conseillèr­e municipale lausannois­e attend donc beaucoup de la composante citoyenne du projet d’Alliance F. Elle espère que l’interventi­on des «anges digitaux» bénévoles sera un exemple montrant qu’il est possible de réagir face au discours de haine. A la fin, tout est lié: «Quand la violence sexiste derrière un écran est légitime, celle de la rue est renforcée. C’est contre cela qu’il faut lutter.»

Principale cible des internaute­s qui dérapent en la couvrant d’insultes et d’attaques sur son physique, la présidente des Jeunesses socialiste­s Tamara Funiciello soutient bien sûr le projet. Depuis qu’elle se défend devant les tribunaux, elle a constaté un recul des propos haineux sur la toile. Mais elle avertit: «Il ne faut pas oublier qu’en fin de compte, c’est toute la société qu’il faut changer par une politique féministe et égalitaire mettant un terme au patriarcat actuel.»

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(ADRIEN PERRITAZ/KEYSTONE)

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