«Gilets jaunes»: leçons de la Suisse ou pour la Suisse?
Il est peu probable qu’un mouvement tel que celui des «gilets jaunes» se développe sérieusement en Suisse et on a lu dans notre pays des propos à ce sujet un brin condescendants à l’égard de notre voisin français. Qu’en est-il? Il faut distinguer la forme du fond. Le manque d’écoute des classes populaires est l’un des principaux reproches faits au président Macron et la Suisse présente de solides garanties à cet égard avec la répartition du pouvoir à trois niveaux et la possibilité d’initiatives ou de référendums populaires. L’on met en doute à juste titre la simple reprise de ce système en France, mais celle-ci pourrait certainement utilement s’en inspirer pour améliorer la communication entre le peuple et les dirigeants du pays.
Mais mieux écouter est une chose, agir en est une autre. Et sur ce plan, la Suisse ferait bien de réfléchir sans arrogance à ce qui se passe en France car elle est aussi confrontée au dilemme presque insoluble que doit affronter le président français entre l’intérêt national à court terme et la résolution des grands problèmes planétaires.
Les attaques en France comme en Suisse contre le Pacte mondial sur les migrations sont exemplaires à cet égard. A côté de ses objectifs, pourtant modestes et non contraignants, ce pacte illustre le fait qu’il y a aujourd’hui des problèmes pour lesquels aucune solution n’est sérieusement envisageable sans mesures prises en commun par l’ensemble de la communauté internationale. C’est encore plus évident pour le réchauffement climatique comme pour toutes les atteintes écologiques qui minent la planète; pour la taxation des grandes entreprises et pour un nombre sans cesse croissant d’autres problèmes, notamment ceux liés à la révolution numérique. Il est en outre indispensable de renforcer l’Europe, qui ne fera poids dans cet indispensable débat que si elle parle d’une seule voix.
Or l’on peut difficilement envisager un système de démocratie directe «à la Suisse» au niveau de l’Europe et encore moins au niveau mondial. Les limites du système suisse sont en effet qu’il s’arrête au niveau national, oubliant que le citoyen suisse est aussi citoyen du monde et qu’il ne saurait se donner par le biais de sa démocratie directe un droit de veto sur les normes toujours plus nombreuses qui doivent se négocier et devraient impérativement s’appliquer au niveau mondial.
Hormis le moteur premier de la précarité de leur vie quotidienne, les «gilets jaunes» – pour autant que l’on puisse identifier une ligne commune à ce mouvement – et les souverainistes suisses, comme tous ceux qui fleurissent un peu partout, veulent ignorer l’inéluctable réalité de la mondialisation. Il faut bien sûr se battre pour réformer des normes qui mettent à mal la protection des droits de l’homme, des animaux, de l’environnement ou de la culture locale sous prétexte de la liberté du commerce. Mais on ne peut se contenter d’un déni trumpien des problèmes planétaires.
Attirer des entreprises en leur offrant des facilités tout en se battant au niveau mondial pour plus de cohérence dans les exigences éthiques et fiscales qu’on doit leur imposer sur toute la planète; restreindre l’immigration tout en s’efforçant de traiter à sa racine le problème de la migration et du traitement humain des migrants; affronter les problèmes énergétiques de son pays tout en promouvant la rigueur qui s’impose partout pour éviter les catastrophes d’un réchauffement climatique non maîtrisé. Tout cela relève d’un très délicat exercice d’équilibre que ne veulent pas comprendre les souverainistes, en Suisse comme ailleurs, qui s’attirent des sympathies en vendant l’illusion que l’on se protégera des conséquences de la mondialisation et que l’on préservera son «identité» et ses privilèges en bâtissant des murs, réels ou virtuels, à ses frontières.
Le problème est que si l’on applique seul des normes jugées indispensables au niveau mondial, on prétérite l’intérêt à court terme de son pays. D’où une alliance contre nature entre ceux qui estiment que l’on n’en fait pas assez pour la planète (Nicolas Hulot) et ceux pour lesquels l’intérêt national doit l’emporter sur toute autre considération («America First»). Cela, alors que les développements scientifiques (infotech, biotech) et la surpopulation imposent une réflexion encore plus fondamentale sur la manière d’organiser harmonieusement la vie sociale sur la planète. Bref, les dilemmes du président Macron sont aussi les nôtres et face à eux la Suisse ferait bien de tirer des leçons de la saga des «gilets jaunes» plutôt que de prétendre en donner. ▅
Les limites du système suisse sont en effet qu’il s’arrête au niveau national, oubliant que le citoyen suisse est aussi citoyen du monde